dimanche 13 avril 2014

La langue catalane à l’école. Quan les juges veulent être le Parlement


Le dernier jour de ce mois de janvier, le Tribunal supérieur de la Justice lançait une bombe de précision au beau milieu du système d’éducation de la Catalogne : on y découvrit cinq interlocutrices, à partir de procédures engagées par cinq familles qui souhaitent modifier complétement le projet linguistique des écoles catalanes. 

La Catalogne, comme le reconnaît clairement le cadre constitutionnel espagnol, est une communauté avec deux langues officielles –le catalan et le castillan ou l’espagnol. Depuis le début de la récupération des institutions démocratiques et de l’autogouvernement – après la très longue nuit de la dictature franquiste-, les autorités catalanes ont choisi, avec le support de la grande majorité des forces politiques, de construire un système d’éducation ayant le catalan comme langue propre, à partir du modèle connu comme étant d’immersion linguistique en maternelle et en primaire. Et, si lors des années 1984-1985, il y avait déjà 408 écoles d’enseignement primaire ayant adopté ce modèle -l’enseignement est en catalan et le castillan s’y est introduit progressivement-, lors des années 1995-1996, au vu de sa réussite, il y en avait déjà 1.280. La législation en matière d’éducation postérieure universalisait le modèle, qui arrivait à plus de 2.800 écoles primaires soutenues avec des fonds publics. 

L’enseignement secondaire, professionnel et supérieur a un modèle linguistique basé sur des projets concrets de chaque école et à l’usage du professorat, à partir de la compétence pleinement bilingue qu’obtiennent les élèves qui ont terminé les études primaires. 

Le modèle d’immersion linguistique -qui est né au Québec en 1965, dans une situation également assez connue de coexistence de deux langues-a été l’axe central du système d’éducation catalan, à partir de prémisses fondamentales : favoriser l’innovation de l’éducation; miser sur la cohésion sociale; éviter la ségrégation pour des raisons linguistiques; et consolider un seul programme scolaire. Et mettre l’accent sur la normalisation de la langue catalane, non seulement affaiblie par le franquisme-qui d’abord en interdit l’usage public puis qui ne l’officialisa pas dans son usage en milieu scolaire-, mais également située à un niveau d’infériorité diglossique par rapport à une autre langue avec beaucoup plus de locuteurs au niveau mondial, qui est, de plus, l’unique considérée officielle au niveau de l’Etat et celle qui a une utilisation sociale plus consolidée. 

Les résultats du système catalan d’immersion ont été reconnus positivement par le Conseil européen et ils n’ont été discutés par aucune autorité académique, ni locale ni internationale : à partir de l’introduction progressive de la deuxième langue, les écoliers catalans terminent l’éducation primaire avec une connaissance effective adéquate des deux langues, le catalan et le castillan. Preuve s’il en est que, lors des dernières évaluations des épreuves du PISA (le Programme for International Student Assessment de l’OCDE), les écoliers catalans ont obtenu, pour ce qui est de la connaissance du castillan, des résultats supérieurs à la moyenne espagnole. 

L’opposition à l’immersion linguistique n’est donc que strictement politique. Si nous regardons donc la composition actuelle du parlement de la Catalogne, les forces politiques qui défendent le maintien de l’immersion en primaire ont reçu 72,30% des votes émis et ceux qui y sont contre 22,30%-en excluant les formations minoritaires qui n’arrivent pas à obtenir un pourcentage minimum et les votes blancs ou nuls. En ce qui concerne les sièges obtenus, les forces favorables à l’immersion comptent 107 députés et celles qui y sont contre 28. La majorité sociale et politique est évidente. Une partie du problème repose cependant sur le fait que le parti populaire se trouve parmi les opposants –la quatrième force de notre parlement, mais avec la majorité absolue au niveau de l’Etat. Sa proposition a été suivie par les autres communautés autonomes qui partagent une langue propre avec la Catalogne et où le catalan –avec ses variantes-est une langue officielle au même titre que le castillan. Au Pays valencien et aux îles Baléares, le système d’éducation prévoit des programmes séparés pour les élèves qui choisissent l’enseignement en catalan par rapport à ceux qui le choisissent en castillan. Le résultat est que non pas tous les élèves terminant les études primaires le font avec une connaissance suffisante des deux langues et en revanche, leurs résultats en castillan ne sont pas meilleurs. Au Pays valencien, le gouvernement du parti populaire offre, d’année en année, beaucoup moins de classes dans sa propre langue que celles qui sont demandées par les élèves et les familles. Aux îles Baléares –gouvernées par le même parti- l’administration a approuvé une proposition linguistique qui, en pratique, prétend supprimer les programmes en langue propre, et qui y étaient – à la demande des familles- entièrement majoritaires. 

L’opposition à l’immersion est donc politique, idéologique et répond à la volonté de maintenir la langue catalane comme une langue publique et sociale inférieure : la volonté réactionnaire et post-franquiste d’effacer tout ce qui signifie pluralité et tout ce qui soit différent de sa conception d’une Espagne d’une seule couleur, d’une seule idée et d’une seule langue. C’est pour cela que les cinq interlocutrices du tribunal de Barcelone représentent une torpille à ligne de flottaison du système d’éducation-et de la cohésion sociale qu’il veut garantir. Les juges y indiquent que, si un seul élève de la classe le demande, on doit laisser de côté le model d’immersion et donner, peu importe la matière, 25 % des cours en castillan. Les directeurs des centres scolaires sont tenus de respecter ceci. 

Ce sont des jugements idéologiques, non pas fondés sur des raisonnements juridiques. Parce que le cadre constitutionnel espagnol précise que l’autorité en matière d’éducation pour la Catalogne est son propre gouvernement ; parce que la législation et la réglementation en vigueur en matière d’éducation maintient l’immersion linguistique comme composant du système dans l’enseignement primaire ; parce que les directeurs des centres scolaires -qu’ils soient publics ou privés soutenus avec des fonds publics – doivent respecter les directives pédagogiques et les programmes de l’autorité en matière d’éducation… Un juge ne peut pas modifier une loi – mais il doit veiller à son application, que cela lui plaise ou non. Un juge n’est pas compétent pour fixer des quotas linguistiques et des contenus des programmes. Et un juge ne peut encore moins obliger un fonctionnaire ou un directeur d’une école soutenue avec des fonds publics à ne pas respecter les instructions à suivre obligatoirement et dictées par l’autorité de qui il dépend. 

Ceci n’est pas possible en Europe –pour ainsi dire. Evidemment, au sein de l’Etat espagnol, le pouvoir judiciaire n’a pas vécu de transition du franquisme au nouvel ordre de la monarchie constitutionnelle, mais il est resté en marge de celle-ci. Et l’actualité est remplie d’exemples quotidiens de résolutions judiciaires, filles de cette réalité, en commençant par le refus d’enquêter sur les crimes du franquisme et d’indemniser les victimes. 

Mais en Catalogne, pas question de jouer avec notre langue. La minorité ne peut pas s’imposer. On ne peut pas changer un modèle qui est une réussite à la demande des familles de 5 ou 10, 15, 20… de nos 800.000 élèves de maternelle et de primaire. Même si c’est la volonté de certains juges. Avec tout le respect requis. Et toute la fermeté.






Josep Bargalló

@JosepBargallo

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