samedi 4 mai 2013

La Catalogne est un projet de progrès

De façon silencieuse, sans que la nouvelle ne franchisse les frontières espagnoles, le catalanisme politique est né il y a 150 ans, avec une ambition double: obtenir pour la Catalogne un espace propre (culturel, économique, politique) et moderniser l'Espagne, qui était une structure arriérée, à tous égards, par rapport à une Catalogne en pleine révolution industrielle. La classe dirigeante catalane avait compris que, sans régénération de la politique (minée par la corruption) et sans modernisation de l'Espagne, il n'y aurait jamais de cadre stable pour mettre en œuvre le projet catalan de progrès. Par conséquent, la Catalogne ne visait pas à une rupture formelle avec l'Etat, n’avançait pas les revendications nationalistes classiques, mais proposait d’éviter les interférences entre Barcelone et Madrid. En fait, ce que le catalanisme réclamait en 1900, c’était un statut d'autonomie (politique), un régime dit de « concertation fiscale » comparable à celui du Pays Basque (des moyens), le port (des infrastructures de connexion) et l'Université (un espace culturel propre). Le fait est que, aujourd'hui, en 2013, aucun de ces quatre domaines d’autonomie n’est garanti, et qu’ils sont tous régulièrement battus en brèche par la législation espagnole ou, dans le cas des infrastructures, par le manque d'investissement de l’Etat, laissant ainsi la puissante économie catalane sans armes face à la concurrence internationale.

La croyance selon laquelle la modernisation de l’Espagne permettrait à la Catalogne de s’y sentir à l’aise de façon durable a tout simplement été contredite par le projet espagnol de modernisation mis en œuvre depuis 1982 sous la houlette de Felipe González. Le projet espagnol de modernisation s’est avéré être incompatible avec le projet catalan. La modernité espagnole consistait à convertir Madrid en centre macrocéphale concentrant le pouvoir économique, financier, culturel, politique, sportif, symbolique, et par conséquent de désertifier et de « succursaliser » toute la «province» sans distinction. Par conséquent, bien que l'Espagne soit le pays au monde ayant construit le plus de lignes ferroviaires à grande vitesse (hormis la Chine), aucun des tracés n'avait atteint une frontière avant 2013, tandis que toutes les lignes passent par Madrid. Bien entendu, certaines de ces lignes ont été fermées par manque de passagers et aucune n'est rentable! Cette provincialisation de toute l’Espagne s'est avérée ruineuse sur le plan économique et politique, dans la mesure où elle a créé des élites locales sans projet, à l'exception de la Catalogne et du Pays Basque, exploitant pour leur bénéfice propre les revenus générés par les travaux publics ... avant la crise.
 



Cependant, le catalanisme politique, confronté à cette évidence, avait compris qu’il était nécessaire de contribuer à financer, grâce aux excédents catalans, la future modernité espagnole pour garantir que l’espace d’autonomie catalane soit respecté. Il a accepté la ponction d’une très grande partie de ses impôts pour financer le reste de l’Espagne (10% du PIB annuel catalan !), en espérant que cet accord serait temporaire, ce qui n'a pas été le cas: la ponction fiscale continue aujourd'hui encore, alors que la Catalogne a besoin de ses ressources pour répondre aux besoins sociaux découlant de la crise. L’espace catalan d’autonomie ne s’est pas non plus avéré stable, et la modernité espagnole n’a pas accepté de partager le poids symbolique des deux capitales, Madrid et Barcelone (lorsque les Jeux olympiques furent accordés à Barcelone, l’Espagne s’empressa d’organiser la même année l’Exposition universelle de Séville!) De même qu’il n’a pas été investi dans les infrastructures en Catalogne. Ce qui s'est passé, c’est que cette fragile économie espagnole, qui vit des bulles économiques et des subventions à fonds perdus (fonds européens ou impôts catalans), a fait naufrage en emportant par-dessus bord l’économie productive catalane.

Au regard de cette situation, le catalanisme politique, qui a le soutien d’au moins 80% de la société catalane, de gauche comme de droite, proposa en 2006 de remodeler le Statut d'autonomie, afin de blinder l’espace catalan d’autonomie, la protection de la langue et les moyens nécessaires pour mettre en œuvre le projet en soi. Un nouveau Statut d’autonomie fut rédigé et adopté par le Parlement catalan,  puis revu à la baisse par le Parlement espagnol  qui le considérait excessif, et, une fois approuvé par les Catalans en referendum, il fut porté par le Parti Populaire devant la Cour constitutionnelle et soumis à une seconde révision à la baisse. La Cour retrancha tout ce qui pouvait avoir une dimension «nationale», au-delà de pouvoirs purement décentralisés ou régionaux. Le message de la Cour, en substance, c’était de dire : « La Catalogne est une région comme les autres, elle sera logée à la même enseigne que toutes les autres. » Mais la Catalogne n'est pas juste une région espagnole dans la conscience collective des Catalans: c’est un projet de progrès,  de vie commune, de modernité, à vocation européenne, expliqué et créé en catalan. Et, pour exister, il a besoin d’une autonomie politique, de moyens propres, d'un espace culturel et d’un lien avec le monde, toutes choses qui sont contrecarrées par l'Espagne.

Ainsi, la souveraineté, le désir d'indépendance, ne sont pas seulement la mise en œuvre d'un mandat historique, mais la combinaison d’une conscience nationale avec un projet de développement dans le cadre européen. Une nation est un projet, et la  Catalogne ne trouve pas sa place en Espagne parce que le projet espagnol va dans un autre sens. La soif de liberté est le résultat d'une agression constante par l'Espagne qui ne tolère pas la différence, qui décida il y a 300 ans de soumettre les Catalans «aux lois et à la langue de Castille», et qui encore aujourd’hui rédige des lois imposant le régime linguistique espagnol à l’école ou des horaires commerciaux uniformes dans les villes et villages de Catalogne. La Catalogne n’est pas en train de quitter l'Espagne par dépit ou par ressentiment, mais parce qu’elle a besoin de son propre espace, qui n'existe pas dans le cadre des lois espagnoles. Un espagnolisme qui, quand il s’exacerbe, produit des monstres tels que les 40 ans de dictature du général Franco, qui, dès le premier jour, interdit les institutions catalanes, la culture et la langue du pays, la liberté civile et la démocratie, cherchant à parachever ce que les Bourbons avaient entrepris en 1714 et avaient cherché à accomplir durant trois siècles. Le dicton l’affirme: «Pour gouverner l’Espagne, il faut bombarder Barcelone tous les 50 ans. » L'Espagne est fondée sur la violence envers tout ce qui est différent.

Une Catalogne indépendante intégrée dans l'Union Européenne, même si cette intégration devait se limiter à la sphère  commerciale, conserverait sur le plan humain d'excellentes relations avec l'Espagne, parce que ces relations existent aujourd'hui. Il ne faut pas confondre les personnes et les peuples avec cet Etat espagnol agressif et réducteur, incarnation d’élites néfastecataas monopolisant le pouvoir et le récit. Les sentiments que partagent les Catalans et les Espagnols (et l’on devrait y ajouter les Portugais) prévaudraient pleinement, bien plus que dans la situation actuelle, où les reproches entrecroisés empoisonnent les relations. A l’heure actuelle, la Catalogne peine à vendre en Espagne le  cava, son célèbre vin mousseux, pour des raisons de boycott commercial: une fois libres, nous serions amis. Nous serons nous-mêmes dans le monde. Nous serons des alliés du progrès, de la justice sociale, de l'effort pour construire un monde meilleur.
Patricia Gabancho

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