dimanche 28 septembre 2014

La Catalogne : un défi plus risqué que l’Écosse pour l'Union européenne

La Catalogne veut voter sur son indépendance le 9 novembre.
Quelles conséquences pour l'Europe ? 
(Crédits : reuters.com)



La Catalogne veut voter sur son indépendance le 9 novembre. Quelles conséquences pour l'Europe ? (Crédits : reuters.com)Romaric Godin | 27/09/2014, 12:36 - 1830 motsLe "non" écossais n'a pas découragé les Catalans d'organiser le 9 novembre "leur" propre référendum d'autodétermination. Le président du gouvernement catalan Artur Mas a signé samedi 27 septembre le décret prévoyant sa tenue. Une question qui pose des problèmes immenses à l'Europe.

Ceux qui pensaient que le « non » écossais à l'indépendance allait calmer les ardeurs séparatistes se sont lourdement trompé. Une semaine après le vote qui a maintenu l'intégrité du Royaume-Uni, la Catalogne est plus que jamais décidée à organiser sa propre consultation sur l'indépendance le 9 novembre prochain. Samedi 27 septembre, Arthus Mas le président de la Generalitat, le gouvernement régional catalan, a convoqué ce référendum d'autodétermination.

Vendredi 19 septembre, le parlement catalan avait voté en faveur de cette consultation par 109 voix contre 28. Plus de 70 % des communes catalanes ont approuvé une motion de soutien à l'organisation du référendum. Enfin, les derniers sondages montrent que près des trois quarts des Catalans souhaitent la tenue de ce référendum sur l'indépendance.

La question catalane va donc être un des premiers casse-tête de la nouvelle Commission européenne qui devrait entrer en fonction le 1er novembre prochain. Car si l'Écosse a fait frémir dans les bureaux du Berlaymont, le siège bruxellois de la Commission, la Catalogne pourrait bien entraîner un vent de panique.

1. L'indépendance en tête dans les sondages

En Écosse, le mouvement indépendantiste a longtemps été considéré comme - au mieux - un regroupement d'originaux. La réalité du séparatisme écossais est récente, et c'est précisément parce que le gouvernement britannique ne voulait pas croire à une victoire du « oui » qu'il a donné son accord pour le référendum du 18 septembre. En Catalogne, la situation est très différente. Le mouvement séparatiste est ancien. A la différence du cas écossais, il s'appuie sur une langue qui dispose d'une longue histoire, qui est vivante et parlée sur l'ensemble du territoire catalan (et même au-delà). Le mouvement catalaniste a été une des principales victimes du franquisme, ce qui a relevé son prestige une fois la démocratie revenue et, à la différence du mouvement basque, il n'est pas entaché par le recours à la violence.

Il existe donc une aspiration profonde en faveur de la séparation. Quiconque a sillonné récemment l'arrière-pays catalan a pu mesurer cette aspiration par la présence aux fenêtres de banderoles en faveur de la consultation du 9 novembre et de l'indépendance. Le 11 septembre dernier, deux millions de Catalans se sont retrouvés à Barcelone pour former un « V » géant afin de demander à voter, signe encore d'une mobilisation forte.

Un récent sondage réalisé par l'institut Omnibus indique donc sans surprise que près de 59 % des Catalans envisageraient de voter « oui » à l'indépendance, contre 39 % qui souhaiteraient rester au sein de l'Espagne. Ce sont les positions entièrement inversées de la situation écossaise au début de la campagne. En Catalogne, ce sont les partisans de l'Espagne qui risquent de courir après les sondages et qui devront faire preuve de conviction. Et, à la différence des partisans britanniques de l'unité, ils n'ont guère plus de marges de manœuvre concernant des transferts de compétence. La Catalogne est déjà très autonome. Si le référendum se tient le 9 novembre, l'indépendance catalane sera favorite et pourrait bien devenir une réalité.

2. Une déstabilisation de l'Espagne

La question du référendum pose un problème constitutionnel majeur à l'Espagne. En mars, le tribunal constitutionnel et les Cortès espagnols ont refusé cette consultation. Si le parlement de Barcelone décide la semaine prochaine de voter la tenue du référendum, il y a fort à parier qu'elle soit jugée illégale par le tribunal constitutionnel. Mais alors, qu'adviendra-t-il ?

Le parti du président du gouvernement catalan, Artur Mas, Convergencia i Unio (CiU), est très discret sur cette question. Ce parti de notables, qui a longtemps gouverné la Catalogne, hésite à franchir le pas de l'illégalité. Mais il subit la pression d'un autre parti indépendantiste, plus radical, la Gauche Républicaine (ERC), qui, lui, plaide en faveur de la tenue d'une consultation informelle pour prouver à l'Espagne la volonté du peuple catalan. Le vote des 700 communes en faveur de la consultation laisse penser qu'une large majorité de municipalités pourraient accepter d'organiser une telle consultation.

Pour Artur Mas, le choix sera difficile. S'il ne suit pas ERC, sa coalition explose et il faudra organiser des élections anticipées. Or CiU est en grande difficulté car non seulement il apparaîtra comme fort pusillanime face à Madrid, mais il devra compter avec les conséquences des révélations sur la fortune cachée de la famille du président CiU de la Generalitat (gouvernement) entre 1980 et 2003, Jordi Pujol. ERC, qui a fini devant CiU lors des élections européennes avec près d'un quart des exprimés, pourrait donc rafler la mise et réclamer la tenue d'une consultation informelle après les élections. Mais si la CiU finit par accepter une consultation illégale, comment réagira Madrid face à la tenue d'un référendum illégal ? Acceptera-t-elle sa tenue malgré tout, en récusant d'avance son résultat, fût-il largement en faveur de l'indépendance ? Comment pourra-t-il le refuser ?

Les prochains mois risquent donc d'être difficiles pour l'Espagne. D'autant que, en arrière-plan du cas catalan, se dresse le problème basque. En Euskadi (Pays Basque), on suit de très près l'expérience catalane, alors que l'ETA semble désormais prête à abandonner la lutte armée et que les mouvements indépendantistes ont progressé lors des dernières élections. Pour Madrid, faire preuve de faiblesse vis-à-vis de Barcelone, c'est aussi réveiller le problème basque.

Ces difficultés pourraient évidemment avoir des conséquences sur les marchés financiers. L'Espagne a certes retrouvé leur confiance grâce à son retour à la croissance et au programme OMT de la BCE. Mais les investisseurs seront en droit de s'interroger sur la qualité de la signature espagnole en cas de tentations séparatistes. Au moment où cette reprise elle-même donne des signes d'essoufflement. Mercredi 24 septembre, la Banque d'Espagne a ainsi prévenu d'un risque de croissance plus faible que prévu au second semestre.

3. Le choc de l'indépendance

Pour le moment, les entraves légales et le refus de l'Espagne de reconnaître toute consultation rend la perspective de l'indépendance catalane encore fort lointaine. Mais, en cas de séparation, la situation serait beaucoup plus complexe que dans le cas écossais. Certes, la Catalogne, avec ses 8 millions d'habitants sera aussi peuplée que la Suisse et un peu plus que l'Écosse et ses 5 millions d'habitants. Mais elle pèse pour près de 20 % de la population espagnole, alors que l'Écosse ne compte que pour 8,3 % de la population du Royaume-Uni. Surtout, le poids économique de la Catalogne, région la plus industrialisée d'Espagne, est considérable. Il représente un quart du PIB du royaume.

La question du partage de la dette publique qui s'affiche à près de 100 % du PIB espagnol risque donc d'être complexe à régler. De nombreux Catalans estiment ne pas avoir à supporté une dette qui ne leur a pas profité. La répartition, selon des critères de PIB ou de population, pourrait donc ne pas être acceptée par Barcelone. La question est cruciale pour l'Espagne qui ne peut pas se permettre de perdre une source de recettes comme la Catalogne en conservant une part disproportionnée de la dette publique. La question, d'emblée, posera un problème de solvabilité à la dette publique espagnole qui devrait subir les attaques des marchés jusqu'à ce que ces derniers y voient plus clair. Pour l'UE et la zone euro, il faudra alors évaluer la riposte appropriée à ces attaques ainsi que le risque de contagion aux autres pays périphériques.

4. Le problème européen

L'UE n'a guère brillé par sa clairvoyance et sa neutralité dans le cas écossais. Qu'en sera-t-il dans le cas catalan ? Bruxelles risque de se retrancher derrière la légalité espagnole et, donc, de repousser la résolution du problème à plus tard. Madrid a joué habilement la carte allemande en se rapprochant d'Angela Merkel au début du mois de septembre. Sans doute, Mariano Rajoy, le président du gouvernement espagnol, a assuré la chancelière de son soutien à une politique de fermeté budgétaire face aux demandes françaises et italiennes moyennant un soutien allemand sur le dossier catalan. L'UE devrait donc rester solidaire de Madrid dans cette affaire.

Il est vrai que l'indépendance catalane poserait là aussi un défi considérable à l'Europe, au moins égal à celui de l'Écosse. Comme dans le cas écossais, la question de l'adhésion du nouveau pays serait entière. Madrid ne manquera pas d'agiter la menace du veto à l'adhésion de la Catalogne dans les négociations sur la dette. Mais, de façon plus générale, la « réadhésion » de la Catalogne ouvrirait une brèche où les séparatistes vénitiens, flamands et autres s'engouffreraient. La France et l'Italie pourraient également défendre une ligne dure envers le nouveau pays. Sauf que la Catalogne, en tant qu'ancienne partie de l'Espagne, disposerait de toutes les législations et garanties nécessaires à son adhésion. L'UE devrait alors faire face à ce paradoxe : refuser de parler avec une Catalogne membre de fait de l'UE pendant 25 ans et accepter de négocier avec la Serbie ou l'Albanie...

5. Le cas de l'euro

Mais la crainte majeure sera sans doute celle de la monnaie. A la différence de l'Écosse, la Catalogne est membre de la zone euro. Refuser l'adhésion de ce nouveau pays à l'UE signifierait-il une exclusion de fait de la zone euro ? Certes, la Catalogne pourrait, comme le proposait l'Écosse, utiliser l'euro de façon informelle, mais il n'en resterait pas moins qu'il y aurait eu, de facto, une exclusion de la zone euro, alors même que l'UE a tout fait en 2012 pour empêcher la Grèce de sortir. Sans compter que le Traité de Maastricht fait de l'adoption de l'euro un « processus irréversible. » La Catalogne ne serait-elle pas en droit de réclamer une représentation au Conseil des gouverneurs de la BCE ? Elle le fera certainement. Mais cela sera-t-il compatible avec son exclusion de l'UE ? Une chose est certaine : si l'UE contraint la Catalogne à sortir de la zone euro, alors on aura créé un précédent et sans doute effacé une grande partie du travail fait durant la crise de 2010-2013. La question monétaire de la Catalogne se révèle donc beaucoup plus complexe que dans le cas de l'Écosse. Un véritable casse-tête monétaire et juridique. Sans doute, l'UE et Madrid compteront sur un tel problème pour dissuader les Catalans d'abandonner le projet de l'indépendance. Mais, là encore, c'est une différence avec l'Écosse, il n'est pas certain que cela soit dissuasif.

Source: La Tribune 
Romaric Godin  |  

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