dimanche 4 mai 2014

Rapporteur de l'ONU : « En Espagne il y eut un plan systématique d'élimination de personnes »


Pablo de Greiff
« Je ne suis pas un cynique, ni un romantique ». « J'ai pris le soin de ne pas commettre la cruauté de générer des expectatives que je ne puisse satisfaire ou des promesses que je ne puisse tenir », confesse le rapporteur spécial des Nations Unies pour la promotion de la Vérité, la Justice et la Réparation, Pablo de Greiff. Il a passé 10 jours en Espagne en essayant de découvrir combien de ces trois mots du long nom de sa responsabilité – vérité, justice et réparation – ont reçu les victimes du franquisme depuis que s'instaura la démocratie. Très peu, si on évalue ses conclusions préliminaires, qu'il développera dans un rapport final pour septembre. La Valle de los Caídos* et l'« immense distance » entre les victimes et l'État. Il croit que les premières « méritent » que le Gouvernement évalue de changer de signification l'énorme monument à lui même que Franco fit ériger à ses prisonniers.

« Jamais, depuis 20 ans qu'il travaille dans ce domaine, il n'avait vu un cas pareil, assure de Greiff, qui voit dans la « privatisation » des exhumations qu'établissait la Loi sur la mémoire historique – le Gouvernement les subventionnait mais ne les assumait pas – le pêché originel de « l'indifférence des institutions de l'État ».

Q. Que vous passa-t-il par la tête quand vous arrivâtes à la Valle de los Caídos ? Avez-vous vu quelque lieu similaire dans un autre pays ?

De Greiff visita Paracuellos et la Valle de los Caídos : « C'est impressionnant ».

R. Non, c'est absolument singulier. Unique. C'est impressionnant qu'un pays qui n'avait pas de ressources érigeât ce monument avec des travaux forcés. L'idée de creuser une cathédrale dans un mont de pierre ne vient pas à l'esprit de tout le monde.

Q. Pourquoi croyez-vous qu'un lieu ainsi, impensable dans d'autres pays comme l'Allemagne, continue en Espagne tel comme le laissa Franco ?

R. Parce que lui dura 40 ans au pouvoir. Et ça change tout.

Q. Êtes-vous, comme proposait le comité d'experts nommé par le Gouvernement de Zapatero, pour la conversion de la Valle de los Caídos en un musée de la mémoire ?

R. Pour certains sites, l'idée de tout détruire est inadéquate. Il a trop de charge symbolique et sa destruction implique aussi une perte. Mais ce qui ne peut pas se faire c'est le laisser comme si rien n'eût lieu. Comme si la glorification de toute l'idéologie pour laquelle il s'érigea fût acceptable. Pour cela je demande qu'on le remette à l'agenda parce qu'il y a quelque chose d'impressionnant dans l'idée de ce site telle comme il est, sans un seul signe qui explique le contexte et comme il se construisit.

Q. Pourquoi voulûtes-vous voir aussi Paracuellos ?

R. Il fut dans ma liste depuis le début pour réaffirmer que celui-ci est un sujet de droits, non de politique. Ceci ne veut pas dire que ça établisse une symétrie.


Q. Que réclament ceux qui vous montrèrent Paracuellos ?

R. M'accompagna le président de la fraternité. Ils allèguent avoir été ignorés au complet. Ils disent que jamais ils n'ont reçu d'assistance pour maintenir le site, qu'ils le font avec des contributions volontaires et qu'ils ont été systématiquement oubliés. Je ne sais pas si c'est vrai.

Q. L'Espagne est le premier pays que vous demanda à visiter comme rapporteur de l'ONU. Pourquoi ?

R. Parce que ça fait très longtemps que l'Espagne débat de ce thème et n'a pas réussi à le résoudre. Par l'univers immense de victimes ; par la propagande selon laquelle la transition fut un modèle et parce qu'il y a beaucoup de pays dans le monde qui regardent l'Espagne et sa transition, depuis le Moyen-Orient au nord de l'Afrique.


Q. Et fut-elle un modèle ?

R. Un modèle, quasi personne ne l'est. C'est un terme inapproprié. Mais mon intérêt n'est pas d'examiner si elle fut un modèle, sinon d'entendre mieux ce qui a fonctionné et ce qui n'a pas fonctionné.


Q. La Transition eut-elle un effet de point final en Espagne ?

R. La loi d'amnistie commença à s'appliquer comme une loi de point final et seul l'argument selon lequel elle fut appliquer par un parlement démocratique la différencie d'une auto-amnistie que les généraux se concédaient à eux-mêmes, mais ne doit pas s'utiliser pour archiver tous les cas. Je me joins aux recommandations du Groupe de travail contre les disparitions forcées ou involontaires et du Comité contre la disparition forcée pour que l'Espagne la laisse sans effet.


Q. L'Espagne n'est pas le premier pays qui se confronte à ce problème. Est-ce un cas anormal ? Au niveau de quel pays cela nous mettrait-il en termes de vérité justice et réparation ?

R. En Argentine il y a tellement d'accusés que ça s'est formalisé. Les jugements ne sont plus une nouvelle. Ils se font et c'est tout. Ceci est le message que j'ai pour l'Espagne. Ici il y a un secteur qui pense qu'on ne doit pas en débattre parce que les haines se manifesteraient de nouveau. Mais rien ne me fait penser que ce soit vrai. Dans les villages tout le monde sait déjà qui tua qui.

La loi d'amnistie agit comme « une loi de point final » i doit être abrogée.


Q. Dans quels autres pays c'est aussi difficile ?

R. Le travail s'est déplacé de l'Amérique latine à l'Europe de l'Est, l'Afrique du Sud et maintenant l'Afrique. La Sierra Leone ne va pas si mal. Mais pensez au défi ingérable d'implanter une justice transitoire à la République du Congo.


Q. Somme-nous comme le Congo ?

R. Ce n'est pas une comparaison utile.


Q. De ce que vous avez écouté ces dix jours de ministres, juges en activité, juges inhabilités comme Baltasar Garzón, légistes, associations et victimes, qu'est-ce qui vous a préoccupé le plus ?

R. Ce qui me préoccupe le plus c'est la distance entre victimes et État. Et ce qui m'impressionna le plus fut le récit de la souffrance des mères, ces anciens disant : « Ma mère fut courageuse ». Je fus impressionné par la terrifiante histoire d'une famille dans laquelle le mari disparaît, à qui on exproprie la maison, un phalangiste repenti leur offre une chambre...


Q. Quelle explication vous donna le Gouvernement pour la suppression des registres pour la loi sur la mémoire ?

R. Ils insistent sur la crise économique et que les fonctions du bureau des victimes se font maintenant depuis un autre lieu.


Q. Croyez-vous que c'est une excuse ?

R. Nous le verrons quand on sortira de la crise, s'ils les remettent. Dans n'importe quel cas, il y a une dette avec une population très, très ancienne et cela devrait être prioritaire.


Q. Les récits des victimes que vous avez pus écouter ces jours-ci correspondent-ils au concept de crimes contre l'humanité ?

R. Oui. Ici il y eut un plan systématique d'élimination de personnes. Il n'y a aucun doute. Je crois que ceci personne ne le discute.


Q. Si l'Espagne n'extrade pas vers l'Argentine Billy l'enfant*, imputé pour tortures, devrait-il être jugé ici ?

R. C'est le principe : ou tu extrades, ou tu juges. C'est l'obligation.


Q. Si aucune des deux options n'arrive, comment apparaît l'Espagne ?

R. Ce ne serait pas un moment élogieux. Ce sera un peine qu'un pays, qui ha été leader dans la mise en œuvre de la juridiction universelle comme instrument de justice, nie maintenant l'extradition d'une personne recherchée pour bloquer un processus.


Q. Pourquoi croyez-vous qu'en Espagne les victimes de l'ETA ont des droits et des hommages et celles du franquisme non ?

R. Parce que le meilleur traitement que les victimes du franquisme ne reçoivent pas est quelque chose que j'essaye de mieux entendre étant donné la capacité institutionnelle du reste.


Q. Quelles conséquences cela a-t-il que dans un pays il y ait des victimes avec des droits distincts ?

R. C'est rompre des principes de traitement équitable, et pour un régime démocratique c'est très grave de type de discrimination. Une partie de la promesse des régimes constitutionnels est d'éviter ce type de discrimination. Enfin, ce dont il s'agit c'est d'aider au dépassement de la condition de suppliant. Et quand il y a quelqu'un qui dépend de la grâce positive ou négative, la promesse de modernité se rompt.

Traduit par Patrick Vedel,

Militant d'Esquerra Republicana de Catalunya



*Valle de los Caídos : monument en hommage à Franco et les combattants franquistes morts durant la Guerre civile* (bien que quelques combattants républicains y soient enterrés), construit par les prisonniers républicains à San Lorenzo del Escorial, village de la région de Madrid.

*Paracuellos : Paracuellos de Jarama est une ville à la porte de Madrid où plus de 2.500 personnes opposées au camp républicain furent assassinées.

*Juan Antonio González Pacheco, dit Billy l'Enfant (Billy el niño en castillan) : ancien membre de la police franquiste demandé par la justice argentine pour des actes de torture entre 1971 et 1975.

*Guerre civile : 17 juillet 1936 – 1er avril 1939



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