jeudi 15 mai 2014

Aux États-Unis, on ne parle pas anglais


Imaginons un instant qu'aux États-Unis, le gouvernement de Barack Obama décide que la langue qui se parle dans les territoires qu'il dirige est « l'américain » et qu'elle n'a rien à voir avec l'anglais. Il est évident qu'il y a des différences de prononciation et de vocabulaire entre l'anglais qui se parle dans les îles britanniques et celui des États-Unis, mais personne, et encore moins le président du pays, ne se hasarderait à dire que ce n'est pas la même langue. Aux Baléares et en pays valencien, si.

Vers le XIIIe siècle, après l'expulsion de la population musulmane des Baléares et du pays valencien, la plupart des gens venus repeupler ces terres étaient originaires de Catalogne. Ces Catalans apportèrent avec eux la langue catalane, une façon de cuisiner et une grande part de leurs coutumes, ce à quoi les historiens et les linguistes souscrivent. Pourtant, les présidents baléare et valencien (tous deux du Parti Populaire) n’y prêtent pas cas et poursuivent leur croisade pour rompre les liens culturels de leurs territoires avec le catalan. En pays valencien, on a déjà adopté la dénomination de « valencien » pour éviter le mot « catalan », et aux Baléares on s'y réfère avec un nom pour chaque île. 

Avec la ferme intention de séparer du catalan ce qui se parle dans ces îles, la dernière idée linguistique venue à l'esprit du président baléare, José Ramon Bauzá, c'est que les journaux télévisés utilisent un article défini (article « salé », es au lieu de l'habituel el = le) qu'une partie de la population identifie -de façon erronée- comme authentiquement majorquin. Ils oublient qu'il y a des endroits des îles où cet article ne s'emploie pas et qu'en revanche, il est vivant dans le parler et la toponymie de Catalogne. Curieusement, on trouve sur les cartes plus de toponymes avec l'article salé -cet article si majorquin- en Catalogne qu'aux Baléares. Une fois encore, Bauzá a fait la sourde oreille aux considérations de l'Université des îles Baléares et de l'Institut d'Estudis Catalans (Institut d'études catalanes), qui jusqu'à présent étaient les institutions que consultait le gouvernement baléare en matière linguistique. Par contre, ce gouvernement a adopté une sorte de « créationnisme linguistique » comme étendard. Par chance pour la santé des insulaires, Bauzá laisse encore les questions médicales entre les mains de la médecine.

Ce n'est qu'une des lignes stratégiques que suit le gouvernement du Parti Populaire aux Baléares pour jeter le trouble dans la population et porter préjudice à la langue et à la culture catalanes. La déconsidération et le mépris des usages de la langue propre des îles est un autre grand domaine exploité ces dernières années pour faire revenir les Baléares à l'époque de la dictature de Francisco Franco. C'est ainsi, par exemple, qu'il n'est plus nécessaire de justifier d'une connaissance du catalan pour devenir fonctionnaire du gouvernement baléare. De cette façon, il n'est pas garanti qu'un habitant des îles puisse être servi dans la langue qui lui est propre et qui, selon la constitution, doit avoir le même degré d’officialité que l'espagnol.

La situation pourrait encore empirer au cas où la Catalogne parviendrait à devenir indépendante. Il y a quelques jours, un spécialiste résumait en ces termes ce qui transparaît des messages de la droite unioniste: « Les mauvais traitements que subit actuellement votre culture ne seront rien à côté de ce que nous vous ferons, Valenciens et Baléares, si la Catalogne obtient l'indépendance. Nous nous vengerons sur vous. » En pays valencien, la radio et la télévision ont déjà cessé d'émettre. Aux Baléares a été voté un plan éducatif (TIL) qui relègue le catalan, rompant de cette manière avec 30 années d'immersion linguistique. C'est ainsi qu'a disparu le seul outil efficace qui permettait de garantir le droit à la connaissance de la langue propre des Baléares, un droit que la constitution espagnole reconnaît mais que le gouvernement Bauzá ne respecte pas. Bauzá qui a interdit la senyera, le drapeau qui flotte encore sur les bâtiments historiques des institutions baléares et qui unit aussi les territoires de langue et culture catalanes. Le drapeau de Bauzá et des siens est tout autre :c'est celui de l'ignorance.




Miquel Piris
journaliste

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