La visite du président
catalan Artur Mas le 3 juin dernier à Paris était certes discrète, puisqu’elle
ne prévoyait pas de rencontre avec le président Hollande, mais elle n’en est
pas passée inaperçue pour autant, et elle a suscité le débat politique en
Espagne et la réflexion des éditorialistes. Nous aurons l’occasion d’en
reparler prochainement.
Et il faut dire
que le menu de la visite avait de quoi irriter le nationalisme espagnol:
la signature d’un accord de coopération avec l’UNESCO, une rencontre avec le
président de la SNCF dans le cadre d’une possible ouverture du réseau ferroviaire
catalan à l’opérateur français des chemins de fer, et un dîner très controversé
avec le ministre français de la Défense, quelques jours après qu’un journal
conservateur madrilène ait fait sa une sur la possibilité que la Catalogne confie à l’armée française la sécurité du
nouvel Etat catalan.
La visite avait
pour but de signer un accord avec l’UNESCO, l’organisme des Nations Unies responsable
de l’éducation, la culture et la science. Un accord logique si l’on sait que la
Catalogne a une culture singulière, et que, à ce titre, le Québec a également
une représentation permanente à l’UNESCO grâce à un accord avec le Canada.
Mais le statut
actuel de la Catalogne ne laisse guère de marge que pour un strapontin dans cet
organisme dépendant des Nations Unies. L’accord prévoit que la Catalogne puisse
envoyer des représentants, en marge de la présentation espagnole, lors de
débats affectant la Catalogne. Il prévoit également le renforcement des
instruments de coopération existant avec la Generalitat.
Le président
catalan a déclaré : « Les représentants catalans seront dans les
structures de l’UNESCO, ils ne formeront pas partie de la délégation permanente
espagnole. Ce n’est pas exactement ce que nous voudrions, car il faudra bien qu’un
jour nous ayons une représentation permanente, mais c’est déjà plus que ce que
nous avons à l’heure actuelle. »
Deuxième plat au
menu de la visite : un déjeuner de travail avec Guillaume Pépy, président
de la SNCF. Pour le président Mas, il s’agit d’une étape dans un dialogue
entamé il y a des mois : « Nous avons demandé à continuer les
conversations avec Paris, et nous en sommes arrivés au point d’analyser s’il
est possible de faire quelque chose dans le futur entre Ferrocarrils de la
Generalitat [la société publique catalane des chemins de fer] et un autre
opérateur. » M. Mas a remarqué que la SNCF est « une grande compagnie
européenne » qui « a envie de faire des choses en Catalogne. »
Le réseau des
trains de banlieue de Barcelone est actuellement géré par Renfe, l’équivalent
espagnol de la SNCF. Ferrocarrils de la Generalitat n’opère que sur un réseau
limité. Le Statut d’autonomie de 1979 prévoyait déjà que la Generalitat serait
compétente pour les transports régionaux internes à la Communauté autonome,
mais l’Etat s’était refusé pendant 30 ans à appliquer cette disposition. Le
nouveau Statut de 2006 mentionnait explicitement le transfert du réseau de
banlieue à la Generalitat. Cette revendication était liée aux nombreuses
plaintes d’usagers concernant le niveau déplorable du service offert par l’opérateur
espagnol, ainsi qu’au manque d’investissements
chronique de l’Etat pour entretenir et moderniser les lignes.
Bien que
compétente désormais pour gérer le réseau de banlieue, la Generalitat a décidé
dans un premier temps de continuer de confier ce service à Renfe, et non à
Ferrocarrils de la Generalitat. Mais à l’expiration du contrat avec Renfe en
2016, la libéralisation du secteur
ferroviaire en Europe permettrait l’entrée d’un opérateur étranger, seul ou au
travers d’un consortium avec Ferrocarrils de la Generalitat. Ce qui reste de l’ordre
de la conjecture à l’heure actuelle.
Dès le 5 juin, le
président de Renfe, Julio Gómez-Pomar, a réagi, en avertissant que l’entrée de
la SNCF serait « incroyablement compliquée et difficile » compte tenu
des différences techniques entre les réseaux ferroviaires espagnol et français.
Il a également promis « un important effort d’amélioration du réseau des
trains de banlieue».
Les investissements
promis par le gouvernement espagnol lors du transfert du réseau des trains de
banlieue n’ont cependant pas été mis en œuvre.
La visite devait
avoir pour point d’orgue un dîner avec Jean-Yves Le Drian, ministre français de
la Défense. La Generalitat precisait que le ministre breton du gouvernement
Ayrault recevrait M. Mas en tant que président de la Conférence des régions périphériques
maritimes d’Europe (CRPM), et qu’à ce titre les discussions viseraient à
dégager des convergences concernant le projet européen de financement d’un corridor
ferroviaire méditerranéen.
Mais la presse s’est
vite fait l’écho de la préoccupation de l’Etat espagnol que la réunion puisse permettre
d’explorer la création d’une armée catalane liée à la France dans un futur Etat
catalan. Et le dîner a été annulé « pour des raisons d’emploi du temps ».
Lors d’une
interview pour la radio espagnole Onda Cero, le ministre espagnol des Affaires
étrangères, José Manuel García Margallo, interrogé sur ce désir de rencontrer
le ministre français, a déclaré le 4 juin que « faire cavalier seul ne
donne pas de résultats » car les autres Etats reconnaissent la
souveraineté de l’Espagne.
Le president Mas
a précisé que la rencontre aura toutefois lieu dans les mois prochains en
Catalogne.
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