samedi 17 janvier 2015

"Nous nécessitons qu'il y ait une majorité parlementaire et je crois qu'il est urgent de le faire"

Pouvez-vous nous présenter votre évolution personnelle au sujet de la question catalane ? Y avez-vous adhéré pour des raisons culturelles, sociales, économiques, historiques ou par tradition familiale ?

Je suis indépendantiste depuis que je me rappelle avoir une conscience politique, depuis que m'intéressaient les thèmes qui affectaient notre société. De fait, le jour que je me rappelle m'être intéressé à l'indépendance, c'est quand, en 1992 – j'étais très petit, j'avais 10 ans –, des indépendantistes ont été arrêtés au cours de l'Opération Garzón, (*) et que j'ai pensé : “Ceux qu'ils ont arrêtés sont des nôtres” ; ainsi je suppose que je devais ressentir une certaine identification, sûrement pas très rationnelle à ce moment-là. Au fil du temps, je me suis engagé dans les jeunesses d'ERC* et, non seulement j'ai commencé à défendre clairement l'indépendance, mais chaque fois l'engagement et l'apprentissage sont allés croissant. Je me suis rendu compte que ce n'était pas seulement une question de défense de l'identité de la langue ou de l'identité, qui avait motivé mon choix, mais aussi du droit de la société catalane à s'organiser comme elle voudrait, dans tous les domaines (économiques, énergétiques, sociaux et, évidemment, aussi culturels).

Quels avantages et inconvénients voyez-vous dans la liste unitaire et les listes séparées ?

Une liste unique a un avantage principal : elle élimine complètement – dans des élections à caractère plébiscitaire –  la compétition entre les partis pour le votant le plus convaincu.

De mon point de vue, disposer de plusieurs listes nous permet d'atteindre plus de votants en tenant compte de la diversité qui existe dans le pays, parce que, même si les indépendantistes envisagent des élections centrées sur l'indépendance, chaque votant ira voter pour ses raisons ; ainsi nous devons proposer tous les mécanismes pour rassembler toutes les sensibilités.

Une liste unitaire devrait être réellement unitaire et transversale, c'est-à-dire d'Union Démocratique de Catalogne jusqu'à la Candidature d'Unité Populaire. Actuellement Oriol Junqueras et Mas sont en train de négocier, mais tous les partis devront essayer de le faire. Unir tout cela n'est pas facile.

Si demain la Catalogne devenait un État, quels aspects,  selon vous, devraient être changés le plus urgemment ?

Avant tout le système judiciaire, puisque l'espagnol est lent, injuste et ne fonctionne pas. Il faudrait aussi changer les mécanismes de régulation des marchés, parce qu'à l'instant même ils sont confisqués par ceux-là mêmes qui devraient être surveillés (banques, compagnies d'énergie, etc.).

Un autre aspect, dans ce cas quand il s'agira de créer la Constitution catalane, c'est qu'il faudra l'écrire comme participative, comme capable de s'adapter aux changements qui puissent se produire dans la société, comme flexible. L'actuelle (l'espagnole) est très rigide, sauf si on l'interprète d'une manière biaisée.

Quels aspects – plus ponctuels – changeriez-vous de l'actuelle situation d'autonomie par rapport à un État catalan ? Par exemple, moi, j’accorderais la priorité à une législation sérieuse et efficace contre la maltraitance animale et la violence sexiste.

Une fois proclamée l'indépendance, et pour une question d'urgence sociale, il faudrait traiter le thème du non-paiement des hypothèques. Créer une loi de dation en paiement et de seconde chance (nous l'avons proposée au Parlement et le Congrès des Députés nous l'a refusée). Cela devrait être un des premiers éléments parce que cela condamne beaucoup de familles à l'exclusion économique, à travailler au noir toute leur vie et à ne jamais pouvoir redresser la tête.

Il faudrait aussi simplifier au maximum l'administration publique. L'actuelle accorde beaucoup de garanties au citoyen et c'est une bonne chose, mais paralyse souvent l'activité que le même citoyen veut mener à bien. Il faudrait simplifier, éliminer des procédures et chercher d'autres systèmes de garantie plus efficaces.

Comment évaluez-vous l'internationalisation du processus et quels aspects croyez-vous qu'il faudrait améliorer ?

Le principal aspect positif qu'il y ait eu jusqu'à présent de l'internationalisation du processus, c'est qu'elle s'est produite, et elle s'est produite à la suite des grandes mobilisations citoyennes de chaque 11 septembre et par le processus participatif du 9 novembre.

Sur les aspects qu'il faut améliorer, le DiploCat est en train de faire un travail important mais c'est un travail de diplomatie publique, non de diplomatie officielle. C'est-à-dire qu'il peut parler à des gouvernements mais il est surtout centré sur la société civile. Ce dont nous avons besoin, c'est qu'il y ait une majorité parlementaire avec un mandat indépendantiste pour expliquer à la communauté internationale que nous voulons créer un État, et je crois qu'il est urgent de le faire.

Le problème, c'est que cela continue d'être une situation interne, et cela cesserait de l'être du moment que cela affecterait des intérêts extérieurs. La communauté internationale ne nous soutiendra pas parce que nous aurons raison ni parce que nous leur semblerons sympathiques, mais parce que leurs intérêts peuvent être en danger ou menacés si le conflit se prolonge. Quels intérêts ? Ceux des multinationales étrangères et la stabilité de l'euro. La Catalogne est une économie plus grande que la Grèce et les mouvements dans ce dernier pays ont porté préjudice à la zone euro, et par conséquent personne n'a intérêt à ce que l'économie catalane se tende pour des questions politiques. Ce thème intéresse les gouvernements, puisque jamais nous n'avions reçu autant de demandes d'information de la part de consuls et de chancelleries ; actuellement, ils bougent en privé, mais dès que nous avancerons – à partir des élections – l'intérêt ira croissant. D'abord, ils demanderont un changement interne (pacte fiscal, modification de la Constitution) parce qu'ils ne veulent pas changer ou ajouter de frontières, mais nous, nous devrons rester fermes  sur  le fait que nous voulons l'indépendance et nous devrons réclamer que la communauté internationale arbitre pour faire un référendum d'indépendance, dans lequel les catalans votent et dont le résultat soit accepté, aussi bien par la Catalogne que par l'Espagne, comme par la communauté internationale, ou nous devrons déclarer unilatéralement l'indépendance. La première option nous convient davantage parce que la reconnaissance est très importante.


Pourraient-ils suspendre l'autonomie ?

Ils pourraient le faire, mais ce serait anticonstitutionnel ; l'autonomie, en accord avec la Constitution, ne peut être suspendue. Ils peuvent prendre le contrôle des Mossos d'Esquadra* ou le commandement de l'Éducation, mais seul le président de la Generalitat peut dissoudre le Parlement. L'article 155 de la Constitution n'autorise le gouvernement espagnol qu'à donner des ordres aux fonctionnaires catalans, mais n'autorise pas à prendre le contrôle du Parlement ; ainsi la démocratie continuerait d'exister.

S'ils suspendaient l'autonomie, ils porteraient atteinte au Statut, qui fait partie du bloc de lois espagnoles, et cela ne pourrait se produire que s'ils déclaraient l'état de siège. Dans ce cas, ils aboliraient les libertés fondamentales et cela affecterait l'économie par le retrait des investissements, par la fermeture des frontières, etc.

D'un autre côté l'autonomie subit déjà une intervention, parce que c'est Montoro*  qui décide le budget et le Tribunal Constitutionnel qui censure les lois que nous créons.

Dans une interview que j'ai accordée, j'ai dit que les citoyens devaient avoir confiance en les politiques. Pouvons-nous avoir confiance dans le fait que le processus est entre de bonnes mains ?

Nous n'avons pas d'autre choix que d'y croire. Je suis convaincu que, si aujourd'hui le Président Mas défend une chose différente de celle que je peux défendre, moi, à ERC, il le fait parce qu'il est convaincu que c'est ce qu'il y a de mieux pour le pays, et il n'y a, par conséquent, pas d'accord sans empathie. Si on est conscient de cela, il est plus facile d'arriver à des accords.

Nous devons avoir confiance les uns en les autres : les partis politiques doivent avoir confiance en la société civile et vice-versa, ce système d'équilibre du pouvoir marche très bien dans les démocraties et je crois que le processus, dans le fond, est le reflet de l'État que nous voulons construire. Si nous maintenons cet équilibre – dans lequel il y a un leadership politique mais aussi un leadership civil – et qu'il y ait un point d'ancrage, tout marchera.



Prénom, nom, poste :

Pere Aragonès, député au Parlement de Catalogne pour Esquerra Republicana de Catalunya (@perearagones).





Aïda Fadrique Rubio (@gatadenit)

Traduit par Patrick Vedel, militant français d'ERC et les JERC

Catalan



*L'Opération Garzón fut un opération policière qui consista en la détention de 45 personnes liées à l'indépendantisme catalan. On les accusa de faire partie du groupe Terra Lliure, malgré que cette dernière avait déjà annoncé sa dissolution. Dix-huit d'eux furent condamnés pour appartenance à l'organisation armée. À la suite de dénonciations de tortures, le Tribunal Européen des Droits de l'Homme condamna en 2004 l'État espagnol pour n'avoir fait aucune enquête.

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