dimanche 6 avril 2014

Laissera-t-on voter aux catalans?

Ceux qui ont jeté un coup d’oeil à la presse espagnole ces dernières semaines, surtout celle éditée à Madrid, doivent croire que l’on est de retour en 1898. Les titres, peu d’impartialité et à la recherche du sensationnalisme, parlent de la "menace du séparatisme" et les principaux partis politiques proclament leur soutien à l’Etat lorsqu’il annonce une position "inflexible" face à ceux qui attentent contre "l’unité indissoluble de l’Espagne".

Cette fois-ci, contrairement à l’an 1898, les séparatistes ne vivent pas dans les lointains Caraïbes ni dans les marécages cubains, mais au sein de la péninsule ibérique, en Catalogne. La menace que ressentent les hommes politiques madrilènes ne vient pas des machettes levées par les rebelles cubains indépendantistes, mais de la plus démocratique des demandes: le vote. L‘alarme atteint de niveaux d’hystérie car les catalans ont décidé de choisir une date au référendum pour décider s’ils continuent unis à faire partie de l’état espagnol ou s’ils s’organisent comme nation indépendante. Puisque l’état central refuse même de parler de l’affaire, ils ont décidé d’appeler eux-même au référendum définitif.

La décision a été prise par les partis politiques qui représentent la majorité des catalans, et qui en plus, constituent plus de deux tiers des députés du parlement régional, ce qui garantit leur approbation. Après les pourparlers, ils ont décidé de faire le référendum le 9 novembre 2014. Il faut souligner qu’ils se sont aussi mis d’accord sur les questions qui y seront posées. D’abord, on demandera aux catalans s’ils veulent que Catalogne soit un Etat et, si la réponse est affirmative, on demandera s’ils veulent que cet état soit indépendant.

Les pourparlers qui ont abouti à la date du référendum et aux questions, ont pris plusieurs mois. La plupart des partis soutient l’indépendance, mais à Convergència i Unió, la coalition au gouvernement, il y a Unió Democrática de Cataluña (UDC), dont les dirigeants penchent pour une sorte de "libre association" avec l’Espagne. Cela explique le choix de deux questions, dont la première plaît aux gens d’UDC et la deuxième aux indépendantistes.

Même si cette ambigüité pouvait ouvrir la porte à une sortie non indépendantiste – comme l’a fait remarquer depuis l’Angleterre un important journal londonien - la réaction du gouvernement central a été un rejet total, refusant directement de reconnaître le moindre droit à la libre détermination. Cette position qui va contre le principe d’autodétermination a été partagée par le parti d’opposition, Partido Socialista Obrero Español (PSOE), ce qui montre qu’un front uni de tous les partis nationalistes espagnols se dresse face aux catalans.

Ce mur de rejet, malgré qu’il soit maintenant plus visible, a existé depuis le premier moment où les partis catalans, encouragés par le référendum indépendantiste négocié au Royaume Uni sur la situation de l’Ecosse, ont exigé que le “droit à décider” l’avenir de leur nation leur soit reconnu. Le mur érigé à Madrid, n’a pas été jusqu’ici capable d’arrêter le processus qui aspire à la souveraineté, on assiste plutôt au contraire. Même si le gouvernement conservateur central, soutenu par le PSOE, n’a pas cédé d’un iota, les catalans ont continué avec ce qu’ils avaient prévu et se préparent maintenant à lancer un appel unilatéral au référendum pour la souveraineté.

En Europe, on commence à entendre des voix qui appellent le gouvernement espagnol à adopter une position plus conciliante, une position qui reconnaisse sa réalité multinationale. Le Financial Times de Londres a publié un éditorial proposant ce point de vue-là dont la répercussion en Europe a été considerable mais très faible sur le gouvernement de l’Espagne.

Curieusement, c’est le parti Partido Popular au pouvoir qui a créé l’état actuel de confrontation qu’on voit entre l’Espagne et la Catalogne. Pendant les années 2005 et 2006, quand le PSOE était aux commandes du gouvernement central, un processus très sérieux s’est engagé qui a abouti à la approbation d’un nouveau statut d’autonomie pour les catalans. Bien que la législation approuvée n’avait bien sûr pas satisfait les indépendantistes, surtout regroupés au sein d’Esquerra Republicana de Catalunya (ERC), elle a representé un pas important en avant par rapport au statut précédent. Le nouveau texte reconnaissait la nation catalane et créait un cadre legal acceptable pour la protection et le développement de sa langue, de sa culture et  de ses institutions historiques. Le processus, en plus, a été très participatif. Il a commencé au parlement catalan, il est passé ensuite au Congrès espagnol et, en fin, il a été approuvé par les catalans lors d’un référendum.

Après cet intense processus, l’historique "problème catalan" semblait avoir trouvé une issue et tout laissait paraître que ça serait comme ça pour longtemps. Mais dès que le statut a été approuvé, le parti PP qui à cette époque-là faisait partie de l’opposition a porté l’affaire auprès du Tribunal Constitutionnel où il y avait (et c’est encore le cas) une majorité de juges conservateurs qui ont procédé à une dénaturation, en déclarant la nullité de 14 articles. Les dispositions annulées ont été, précisement, celles qui avaient trait à la langue, la culture et la nation, et d’autres qui augmentaient les compétences du gouvernement autonome. Après cette sentence, le peuple catalan s’est senti blessé et le sentiment indépendantiste est devenu majoritaire. On en est arrivé à la conviction qu’il n’était pas possible de négocier un accord raisonnable avec Madrid et que les institutions catalanes ne pouvaient se développer qu’avec l’indépendance.

Comme on peut voir, cet événement a eu plein de conséquences. Maintenant la plupart des catalans, plus que l’autonomie, parlent d’indépendance et la droite espagnole, après s’être rendue compte que cette fois-ci c’était sérieux, est prise d’hystérie. Personne ne sait vraiment de quoi ils sont capables. A l’époque de Francisco Franco, il y aurait déjà de tanks sur les Ramblas de Barcelone, mais maintenant l’Espagne appartient à l’Union Européenne et la solution militaire n’est pas bien vue. Qui plus est, la seule chose que demandent les catalans c’est qu’on les laisse voter et actuellement la réponse à cette demande ne peut être donnée par les armes.

Manuel de J GonzálezClaridad, le journal de la nation portoricaine

Anglais

0 comentaris:

Enregistrer un commentaire