Je la sens plus loin à chaque fois,
cette Espagne périmée, irrationnelle et injuste, qui n’a pas seulement besoin
d’un “sauvetage” bancaire. Ma désaffection commence même à dépasser la rage
contre les TGV vers nulle part, les aéroports inutiles ou les péages injustes
qu’on ne paie pas seulement sur les autoroutes. « Le sujet » est
devenu une « question » personnelle.
Cela fait des années que j’ai décidé de ne plus me servir
de la nationalité espagnole. Je suis certain que pour être catalan, je n’ai pas
besoin d’un passeport espagnol –ceux qui pensent comme moi considèrent aussi
leurs passeports comme étant « étrangers ». Moi, je suis tout
simplement catalan (d’adoption, bien évidemment) avec un passeport (et visage)
d’allemand – et il n’y a aucun souci.
J’en étais persuadé… Jusqu’au moment où
ma carte de résidence a expiré et j’ai voulu la remplacer par le « certificat
de numéro d’identification des étrangers » (NIE) un document dont le nom
fait penser à des régimes du passé et qu’on demande directement à la Police Nationale
–personnellement et non pas au commissariat de la ville de Gérone. J’y suis
allé avec tous les documents nécessaires que j’avais trouvés grâce à Internet, car
je n’avais pas pu le faire par téléphone puisque les enregistrements automatiques
ne font pas de différences entre les « communautaires » et le reste
du monde et sont le meilleur exemple du mépris de l’administration espagnole
envers les êtres humains.
Après avoir vérifié que les immigrants illégaux ne sont
reçus avec tous les égards que devant les caméras, je suis monté au premier
étage, celui réservé aux communautaires, où j’ai eu droit à une fonctionnaire qui
devait encore apprendre qu’elle gagne sa vie pour rendre service aux citoyens.
Elle m’a obligé à parler en espagnol en affirmant qu’on
était en « territoire espagnol ». Puisque je voulais seulement faire
cette démarche administrative au plus vite (sans chercher à avoir des
problèmes), j’ai commencé à sortir tous mes papiers. Elle ne les a même pas
regardés. « Vous voulez que je vous dise ce qu’il faut apporter ? »
fut toute sa réaction. « Une nouvelle loi est sortie et les informations
du site internet sont obsolètes depuis trois semaines, et ce n’est pas ma
faute, et ce n’est pas ma faute non plus si les téléphones ne fonctionnent
pas », me lance-t-elle.
De plus, elle m’a oublié pour continuer sa
conversation avec sa collègue de la salle d’à-côté, sans bouger de sa chaise,
évidemment. En plein XXIe siècle, c’est intolérable d’accepter ce
traitement vexatoire de la part d’une employée de l’Etat, et de perdre son
temps et parcourir des kilomètres sans que cet État soit capable d’actualiser
ses sites web ni d’organiser, comme il faut, les services qu’il est obligé de
fournir. Désormais je vivrai en Catalogne comme un fugitif sans papiers, nous
verrons bien ce qui va se passer…
Thomas Spieker
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