mardi 16 juillet 2013

Ce n’est pas une question de langue ou d’argent



Il y a quelques jours j’ai parlé avec un journaliste américain intéressé par les nouvelles qui arrivent de Catalogne. Il m’a raconté en toute franchise qu’il ne savait pas grand-chose sur mon pays au début, mais qu’il s’était bien informé avant d’atterrir à Barcelone. Son objectif était de comprendre les motifs « pour lesquels une partie de la population ne veut plus être espagnole ». Il s’exprimait ainsi et j’ai précisé qu’il ne s’agissait pas de refuser ou de dédaigner une identité, mais du fait élémentaire pour un peuple de pouvoir exercer la démocratie.

Une fois entrés en matière, le journaliste américain a commencé à me parler de ce que le souverainisme appelle la « spoliation fiscale » et je me suis rendu compte qu’il en avait déjà recherché les principales données chiffrées. Chiffres à l’appui, j’ai récité ce que beaucoup d’entre nous savons parfaitement : le déficit structurel catalan est de l’ordre de 8,5 % du PIB catalan, soit quelques 16,5 milliards d’euros par an les trois dernières années. Il avait aussi étudié comment la solidarité entre territoires au sein de l’Espagne finit par affecter la Catalogne, qui perd sept positions dans le classement régional du PIB par habitant une fois les transferts entre régions effectués. J’ajoutai que le paradoxe est que les régions générant moins de richesse finissent par disposer de plus de ressources par habitant que celles qui versent le plus au pot commun.

Il est resté pensif, et m’a posé des questions sur l’échec de la négociation visant à établir un nouveau pacte fiscal avec l’Etat avant de conclure, satisfait : « J’y vois clair maintenant : l’indépendantisme catalan est une affaire d’intérêts, comme c’est le cas de la Ligue du Nord en Italie. » J’ai immédiatement riposté que, bien que les arguments économiques et fiscaux soient très présents dans le mouvement souverainiste et qu’ils aient convaincu beaucoup de personnes, ce serait une erreur de croire que ce facteur à lui seul est la cause du souverainisme. Il fallait aller au-delà.

L’Américain a souri et a sorti d’autres papiers. Il a alors commencé à me résumer de façon assez correcte l’histoire et la culture catalanes, en évoquant l’époque de splendeur de la littérature médiévale catalane, le monastère de Montserrat, le mouvement de Renaissance culturelle au XIXème siècle, l’immersion linguistique à l’école et la création de TV3, la télévision publique catalane. Sur son iPhone il avait des chansons de Raimon, Lluís Llach, Sopa de Cabra et Manel, qu’il aimait beaucoup même s’il ne les comprenait guère. Quelqu’un lui avait envoyé aussi (il l’avait sur l’iPad) un épisode de la série Dallas doublé en catalan et un long fragment du film Pa negre.

Il a continué à sourire : « Peut-être ne me suis-je pas bien expliqué avant, ce que je voulais dire, c’est que le porte-monnaie est important, mais je sais que la réclamation identitaire de la Catalogne se nourrit d’une langue et d’une culture différentes de l’espagnole. » Je l’écoutais fasciné. Il a parlé du ministre Wert, qui veut imposer l’espagnol à l’école afin d’ « espagnoliser les enfants catalans », des fantaisies du gouvernement régional aragonais, qui s’efforce de nier l’existence de la langue catalane sur son territoire en la rebaptisant « langue aragonaise parlée dans l’aire orientale » (LAPAO). Il voulait me montrer qu’il était au courant de tout, et il a ajouté : « D’accord, l’indépendantisme est une affaire de langue et culture, il s’agit d’éviter qu’elles disparaissent, plus ou moins comme au Québec ». Il pensait que, cette fois-ci, il avait fait mouche, mais je l’ai contredit : j’ai admis l’évidente base culturelle du nationalisme catalan, mais j’ai observé que les gens ne réclamaient pas le divorce d’avec l’Espagne uniquement pour protéger leur culture.

Le journaliste américain a cessé de sourire. Il n’était pas à l’aise. S’il ne s’agissait pas d’argent ni de langue, qu’est-ce qui poussait donc une partie importante des Catalans à réclamer un référendum ? Il m’a observé comme un joueur de poker, avant d’abattre sur la table ce qu’il croyait être une carte gagnante. Il souriait à nouveau : « Je crois que je comprends : l’indépendantisme est, surtout, une affaire de pouvoir, le but est d’avoir son drapeau aux Nations unies, des ambassades, de parler d’égal à égal avec Bruxelles, de dire que Barcelone est la capitale d’un Etat et… ». Je l’ai interrompu et je lui ai dit aimablement qu’il faisait fausse route. Pour comprendre la situation actuelle de la Catalogne, il devait considérer une dimension qu’il avait omis de mentionner mais qui comptait plus que l’économie, la culture ou le pouvoir.

Le souverainisme, lui ai-je expliqué tandis qu’il prenait des notes, est, avant tout, une cause éthique. Il naît de la constatation que, pour les pouvoirs espagnols, formels et informels, être catalan est une forme anormale et défectueuse d’être espagnol. Puisque l’Espagne de culture castillane voit cette identité catalane avec suspicion, elle essaye de la dissoudre, de l’étouffer et, surtout, de l’exclure de tout espace de pouvoir. Il y a quelques années une OPA d’une entreprise catalane sur une entreprise madrilène avait été empêchée par le pouvoir au cri de « plutôt allemande que catalane ». Le Catalan est toujours coupable de ne pas être un Espagnol assez authentique, même s’il n’est pas nationaliste. Le journaliste américain n’en revenait pas. J’ai ajouté que la relation entre Basques et Castillans était totalement différente, ce qu’on pouvait clairement voir, par exemple, dans le fait que personne ne remet en question le régime de concertation économique du Pays basque et de Navarre, selon lequel ces territoires sont exemptés de devoir contribuer à la solidarité entre régions.

Le souverainisme catalan est une cause éthique. Il se nourrit d’arguments économiques, culturels et politiques, que Madrid nous donne à foison tous les jours, mais il va bien au-delà. C’est une cause éthique parce la souveraineté veut dire cesser de devoir nous justifier d’être ce que nous sommes, comme si nous étions des enfants. Si on ne comprend pas cette dimension profonde du conflit, on ne comprendra rien de ce qui motive aujourd’hui des milliers de Catalans. Le visiteur américain, lui, l’a bien compris.



Francesc-Marc Álvaro
Journaliste et écrivain

2 comentaris:

  • Torre Negra says:
    17 juillet 2013 à 06:18

    Mr Marc-Álvaro est un faux, un chroniqueur de droite radicale, il ne représente pas le mouvement indépendantiste catalan, un mouvement populaire, démocratique et progressiste

  • Cognatus says:
    30 juillet 2013 à 01:34

    A mi m'ha agradat molt aquestes explicacions perquè resumeixen bé el que viuen els catalans

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