lundi 17 juin 2013

La Catalogne dira-t-elle bientôt : «Nos ancêtres les Gaulois» ?


La visite du président catalan Artur Mas à Paris le 3 juin dernier a provoqué une polémique entre les gouvernements catalan et espagnol dont il convient d’analyser les enjeux. 

Le ministre espagnol des Affaires étrangères M. García-Margallo avait dès le lendemain manifesté publiquement son irritation à l’égard de M. Mas, lui reprochant de ne pas être passé par son Ministère pour préparer ce voyage afin d’unifier l’action diplomatique de l’Espagne. Le gouvernement espagnol a depuis lors élaboré un projet de loi permettant à l’Etat de chapeauter toute initiative internationale des communautés autonomes, avec la Catalogne en ligne de mire.

M. García-Margallo démontre par là même que la diplomatie espagnole ne fonctionne qu’au bénéfice d’une caste, la haute société madrilène, incapable de comprendre un modèle d’action internationale plurielle et en réseau. Ce qui serait pourtant le modèle le plus approprié dans un monde globalisé où les connexions vont dans plusieurs sens et visent principalement les échanges économiques, scientifiques et culturels. Alors que pour la diplomatie du Royaume d’Espagne, héritée de l'époque de cet Empire espagnol où le soleil ne se couchait pas, ce qui compte, ce sont les apparences d'influence, les échanges militaires et le lobbying au bénéfice des oligopoles espagnols d’Etat, publiques ou privatisés, mais tous aux mains de l’élite madrilène. Cette diplomatie est vouée à l’échec. Quoi qu’en dise le président espagnol Mariano Rajoy, qui avait déclaré le 1er juin que « en Europe, les petits Etats ne comptent pas du tout » : tous les tableaux de classement montrent que les petits Etats européens dépassent les grands en termes relatifs. Sans doute les grand Etats ont-ils plus l’occasion d’exhiber leur musculature sur la scène internationale et de faire dans l’auto-complaisance, mais les petits Etats les dépassent dès que les critères sont le bien-être des citoyens et la prospérité sans endettement excessif, en particulier dans les pays nordiques.

Plus intéressante, car révélatrice de la nervosité régnant dans les appareils dirigeants de l’Etat espagnol, était la controverse concernant la « Marche d’Espagne » soulevée par le ministre des Affaires étrangères. M. García-Margallo invoquait ce souvenir historique pour en appeler à l’origine catalane de l’Espagne, ce qui est un contresens historique. La Marche d’Espagne est ce glacis de territoires, créé par Charlemagne au VIIIème siècle au sud des Pyrénées, et qui allait donner naissance à la Catalogne. Mais aussi, suite à la bataille de Roncevaux, à la Chanson de Roland, le plus ancien texte littéraire français conservé à nos jours. Si cette ancienne Marche symbolise quelque chose, ce sont bien les liens historiques de la Catalogne avec le Nord des Pyrénées. 

Certes, les pressions de la diplomatie espagnole ont peut-être fait annuler la visite du président Mas au ministre français de la Défense. Mais cette réunion aura lieu dans les prochains mois. Les déclarations crispées que cette possible rencontre avait causées montrent que Madrid commence à prendre au sérieux le basculement francophile d’une partie croissante des élites catalanes. La société catalane, pragmatique, a aspiré au cours de son Histoire à disposer d’un Etat qui la soutienne, et non qui l’extorque et la domine. La Catalogne, située à la confluence de deux Empires, le français et l'espagnol, tout comme la Pologne entre la Russie et l'Allemagne, tout comme les Pays-Bas et la Belgique entre l'Allemagne et la France, s’est essayée successivement au cours des siècles à la formule du protectorat français, de l'Etat catalan indépendant, de préférence républicain, ou de l’union d’égal à égal avec le Royaume de Castille.

Actuellement, et les enquêtes telles que celle publiée récemment par El Periódico ne font que le confirmer, le mécontentement à l'égard de l'Espagne croît de façon exponentielle. L’un des exemples les plus frappants ces derniers temps a été l’annonce par le chanteur Dyango qu’il participerait au grand Concert pour la Liberté, un macro-événement indépendantiste qui aura lieu le 29 juin au Camp Nou. Cette annonce a été reçue avec agressivité par les médias nationalistes espagnols. Lors d’une interview sur 13TV, la chaîne de la droite conservatrice catholique espagnole, les journalistes ont violemment pris à partie le chanteur. La déclaration du chanteur, confirmée peu après par la diffusion d’une photo dans laquelle il pose avec le drapeau souverainiste, est particulièrement douloureuse pour le nationalisme espagnol, dans la mesure où Dyango est une star de la chanson populaire en espagnol depuis les années 70.

Il ne serait pas bon que, dans le jeu de poker actuel avec l’Etat espagnol, les cartes dont dispose la Catalogne se limitent aux deux suivantes. L’une: la soumission à l’Espagne et l’acceptation de la spoliation économique, la fracture sociale et la perte de l'identité. L’autre: la déclaration d’indépendance unilatérale.

Par conséquent, le parti francophile dont je suis un ardent défenseur, prend force, prudemment mais clairement.

Et la France, dont la Catalogne a dépendu plus de siècles au cours de son Histoire qu'elle n'a dépendu de l’Espagne, les Français, les véritables fondateurs de la Marche carolingienne dans la péninsule ibérique, ont de multiples raisons, économiques, géostratégiques et culturelles, pour se rapprocher de la Catalogne. Nous en parlerons dans un prochain article.


Josep Huguet
Ingénieur et historien
Ministre du Gouvernement catalan de 2004 à 2010
Président de la Fondation Josep Irla, liée au parti Esquerra Republicana de Catalunya (gauche indépendantiste)

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