mardi 12 février 2013

14 février prochain: l'ambassadeur américain en Espagne, témoin de l’échec de la minorité unioniste dans son effort pour obtenir le soutien du monde des affaires

 
On dit parfois que «la taille n'a pas d'importance. » Bien que cela puisse être vrai dans certains domaines de la vie (ou pas, nous n’entrerons pas ici dans ce débat épineux), ce n'est clairement pas le cas dans une démocratie, pour la bonne et simple raison que, par définition, la démocratie signifie la prise de décision par la majorité. Dans la mesure où l'autodétermination est tout simplement le stade ultime de la démocratie, là aussi la taille est essentielle, et l'avenir des pays dépend de la capacité des partisans de projets différents à convaincre une majorité de l'électorat.

Cela étant dit, il est clairement apparu à plusieurs reprises au cours des derniers mois en Catalogne que les unionistes sont une minorité. Les sondages d'opinion le montrent clairement, la taille respective des manifestations pour et contre l’indépendance le confirme, et, ce qui est plus important, et en constitue après tout la preuve ultime, les dernières élections au Parlement catalan ont donné une écrasante majorité de députés favorables à l'indépendance.
Conscients de leur plus petite taille et, en outre, souvent dans l'impossibilité d’argumenter les raisons pour lesquelles la Catalogne serait dans une position meilleure et plus sûre au sein de l'Espagne, les unionistes ont rarement recours à l'organisation d'événements publics. Plus précisément, ils ont plutôt tendance à les éviter. Au lieu de cela, ils se limitent à faire confiance à l'inertie et aux craintes infondées.
Une exception semblait être le projet d'organiser un rassemblement des chefs d'entreprise le 14 février, organisé par Foment del Treball Nacional, une fédération des entreprises catalanes, ou plus précisément par son président unioniste, M. Gay de Montellà, puisque le soutien à cette initiative au sein même de Foment était plutôt tiède. Sous le slogan «Anem per Feina » (« Mettons-nous au travail »), ce rassemblement devait transmettre le message que, bien que favorables à la souveraineté fiscale, la plupart des chefs d'entreprise catalans rejetaient la possibilité de recouvrer la souveraineté et de quitter l'Espagne. Malheureusement pour ses promoteurs, ces plans grandioses se sont vite effondrés, de nombreuses organisations professionnelles refusant purement et simplement d’y prendre part ou exprimant leurs grandes inquiétudes concernant la nature et le contenu de l'événement. L’on peut citer, entre autres, les réactions suivantes:
• M. Josep Gonzalez, président de PIMEC (la principale fédération professionnelle des PME en Catalogne), a déclaré être « d'accord avec le droit de décider » [autodétermination], ajoutant qu'il n'assisterait pas à l’acte du 14 février.
• La Chambre de Commerce de Barcelone a décliné participer à l'événement.
• La fédération des petites entreprises CECOT a exprimé ses «doutes» profonds sur les objectifs et le format proposés.
• Le Centre Catalan des Affaires (CCN) a exprimé son opposition claire.
En conséquence, ce qui devait être un rassemblement au Centre de Conventions d’Affaires de Barcelone est maintenant devenu un événement à petite échelle au siège de Foment, un acte somme toute plutôt interne et avec un profil assez bas ressemblant peu aux plans originaux. Tout cela n'est pas une surprise : pourquoi un chef d'entreprise serait-il favorable à perdre 8% de son PIB, à être dans l’impossibilité de prendre un train pour Paris ou un avion pour New York, à souffrir le délitement des infrastructures, à se voir exclu des marchés de l'industrie de défense? Il est vrai que pour certains, la frontière entre plaisir et douleur est très mince, mais rappelons que nous ne parlons pas ici de la chambre à coucher, mais bien de la salle de réunion.
Ligne d'assemblage du Joint Strike Fighter. L’industrie catalane souffre de longue date d'un veto de fait concernant la participation aux consortiums internationaux de fabrication d'armes, et se réjouit de pouvoir collaborer avec les entreprises américaines et autres dans des projets tels que le F-35.
Jusqu'à ici, nous n'avons pas dit grand-chose qui n'ait pas déjà été largement rapporté par la presse grand public. Il y a, cependant, une touche supplémentaire à l'histoire. Un autre événement, moins médiatisé, se déroule également le 14 février, à savoir une conférence et une table ronde avec l'ambassadeur américain en Espagne et en Andorre, Alan D. Solomont, qui partagera ses «Réflexions sur les relations américano-espagnoles et perspectives de futur» au Cercle d'Economia à Barcelone. Le président du Cercle d’Economia est Josep Piqué, unioniste et ancien ministre espagnol de l'Industrie qui a récemment déclaré que «c'est l'Espagne qui est un sujet politique », tout en reconnaissant que « il y a de nombreux citoyens catalans qui croient que la Catalogne a droit à sa souveraineté. » Cette dernière précision peut être la preuve que, tout comme de nombreux autres unionistes, il est peut-être déjà en train de manœuvrer pour se repositionner tout en finesse.
Tout cela était-il une coïncidence? Peut-être, mais il est préférable de ne pas trop y croire. Il est plus probable qu’il s’agissait d’une tentative de M.Gay et M. Piqué pour prendre en tenailles le gouvernement catalan et la majorité politique et populaire favorable au chemin vers l'indépendance. Les organisateurs unionistes de ces deux événements caressaient l’espoir de voir un acte réussi du monde des affaires exactement le même jour que la visite à Barcelone de l'ambassadeur américain en Espagne. Il n'était pas trop difficile d'imaginer le contenu de son rapport ultérieur à Washington: «Le soutien à l’indépendance est en baisse ; le monde des affaires est majoritairement contre ; les frontières actuelles de l’Espagne ne sont pas menacées. »
Au lieu de cela, ce que l'ambassadeur verra le 14, et ce qu’il rapportera sera le suivant:
• La majorité souverainiste continue de croître.
• Les chefs d'entreprise y sont pour la plupart favorables, ou au pire ne s'y opposent pas.
• La minorité unioniste est dans le désarroi, incapable de donner une seule raison pour laquelle la Catalogne doit rester en Espagne.
• La tentative d'organiser un rassemblement unioniste de chefs d’entreprises a échoué, les fédérations patronales étant contre, et les organisateurs ont été obligés de célébrer l’acte dans un immeuble de bureaux en raison du petit nombre de personnes attendues.
Par ailleurs, inutile de dire que tout cela favorise la sécurité nationale américaine, puisque, à titre d’exemple, les ports de Barcelone et Tarragone sont d'excellentes options pour la composante navale du bouclier anti-missiles de l'OTAN.
Ainsi, pour en revenir au titre de la conférence de l'ambassadeur américain, les "perspectives de futur", c’est la Catalogne, un membre responsable de la communauté internationale, un contributeur net à la sécurité de l'Alliance atlantique, et un pays avec lequel on peut faire des affaires. 
Àlex Calvo est professeur de relations internationales et droit international, Chef du Département de Relations Internationales, et directeur de recherche de troisième cycle à la European University (Campus de Barcelone). Expert en matière de sécurité et de défense asiatiques, il a obtenu sa licence en droit à la School of Oriental and African Studies (SOAS, Université de Londres) et il fait actuellement un master en études de la seconde guerre mondiale à l'Université de Birmingham. Il est un ancien professeur et chercheur de l'Académie de l'OSCE à Bichkek (Kirghizistan).



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