Au début du 20e
siècle, la Catalogne, la puissance industrielle d’Espagne, présentait un
paradoxe incroyable: elle ne disposait pas des infrastructures minimales qui
lui auraient correspondu dû à sa contribution au Trésor public. La presse
catalane de l’époque dénonça ce décalage et souligna un autre détail
inquiétant: l’injustice n’était pas seulement d’ordre économique sinon
également d’ordre humain, puisque la Catalogne apportait 900 soldats de plus
qu’elle ne l’aurait dû étant donné sa population. Cette discrimination
s’explique mieux en lisant quelques documents de l’époque qui montrent que les
organismes de l’État faisaient valoir le droit de conquête sur la Catalogne
afin de pouvoir agir comme ils le faisaient.
L’autonomie sans
compétences ni ressources
La 'Mancomunitat
de Catalunya' (1914-25), la première autonomie depuis 1714, apaisa ce déficit
de l’État avec les ressources des conseils provinciaux de Barcelone, Girone,
Lleida et Tarragone, puisque le Gouvernement espagnol refusa de céder les
compétences se référant au recouvrement fiscal à la Mancomunidad. Ainsi, l’État
continua de percevoir 250 millions de pesetas par an de la Catalogne et ne lui
rendit que 19,1 millions sous forme d’investissement dans des travaux publics,
l’éducation, le service sanitaire et l’agriculture. Après la suppression de la
Mancomunitat par la dictature du général Miguel Primo de Rivera, l’inégalité
fiscale se maintint. En 1926, la Catalogne, qui était loin d’être la région la
plus étendue ni la plus peuplée, paya presque un tiers (30%) des impôts du
montant total que payait Espagne.
Le rétablissement
de la Generalitat dans la période de la II République (1931) ne supposa pas une
amélioration immédiate du sujet du financement. Le retard avec lequel l’État
espagnol effectuait les cessions de compétences au Gouvernement catalan
provoquait des situations absurdes, comme celle des travaux publics. La cession
de cette compétence à la Generalitat fut décidée en 1931, mais elle ne fut pas
réalisée jusqu’en 1935. Par contre, cela n’empêcha pas l’État de laisser de
côté la Catalogne dans ses plans de travaux publics puisqu’il considéra la
Generalitat responsable de ce domaine, bien que cela était uniquement le cas
sur le papier. Dans l’ensemble, l’investissement public en Catalogne ne s‘éleva
même pas à un tiers des impôts qui y furent recouvrés par l’État.
La fiscalité en
temps de guerre
L’exceptionnalité
que représentait la guerre civile permit des initiatives également
exceptionnelles. La dynamique du conflit facilita que la Generalitat se charge
des fonctions du Gouvernement de la République en Catalogne. Et bien que ce
dernier s’opposa à l’autonomie de la gestion économique catalane, la
Generalitat, sous un nouveau régime fiscal, restructura les relations
financières entre les deux gouvernements en janvier 1937. Des impôts qui
devaient être des sources de revenus pour le Trésor public catalan et qui
aidaient à soutenir l’effort de guerre furent créés, corrigés ou rétablis. Mais
le cours de la guerre mena à une diminution du rendement des tributs et à
l’accumulation d’un grand déficit de la Generalitat.
Le régime
franquiste instaura l’autarcie, une économie rigide de rationnement, sans échanges
avec l’extérieur, dans laquelle l’État devait produire tous les biens
nécessaires. La volonté des nouvelles autorités de rendre la récupération de la
Catalogne difficile était évidente. Les sièges sociaux des entreprises
catalanes furent déplacés à Madrid et les banques espagnoles absorbèrent les
entités du pays, raison pour laquelle la banque catalane ne représentait que 3%
du système bancaire espagnol vers le milieu des années 50.
La stagnation
franquiste
La défaite du
nazisme mit l’économie à l’arrêt. Un manque d’énergie et de matières premières
régnait. La bourgeoisie industrielle et commerciale catalane se limitait à
faire fonctionner ses commerces malgré l’interventionnisme de l’État, un
interventionnisme qui n’en faisait pas toujours qu’à sa tête. La dictature qui
aurait voulu que la Catalogne se spécialise dans l’industrie textile dut céder
au vœu de l’entreprise automobile FIAT d’installer l’usine SEAT à Barcelone, dû
au port et à la main d’œuvre qualifiée sur place, ce qui mena à une augmentation
du poids du secteur du métal en Catalogne. La rigueur tributaire ne céda pas.
En 1951, l’État investit 28% de ses recettes dans la province de Barcelone, ce
qui signifiait un déficit fiscal de 72%.
Le modèle
autarcique, incapable d’élever le niveau de vie de la population, entra en
crise et fut forcé à évoluer vers la libéralisation du système économique dans
les années 50. Cependant, rien ne changea pour la Catalogne. En 1956, les
recettes de l’État dans la province de Barcelone s’élevèrent à 5,551,154,212
pesetas et les dépenses à 1,179,668,992 pesetas. Autrement dit, seul 21% des
recettes ne regagnaient le territoire, l’équivalent à un déficit de 79%.
La croissance
démographique et économique ultérieure, dans les années 60, ne signifiait pas
une amélioration des services qui aurait correspondu à un pays qui était le
moteur de l’État. En 1975, le déficit de l’éducation publique dans le district
urbain de Barcelone s’élevait à 58 % dans le domaine des places dans
l’enseignement de base et primaire, tandis que dans le service sanitaire, il se
traduisait par la disponibilité de six lits d’hôpital sur mille habitants au
lieu de dix lits sur mille habitants recommandés par l’OMS.
La transition
démocratique et l'autonomie
Après la fin de
la dictature lors de la mort de Franco, l’arrivée de la démocratie et la
récupération de la Generalitat se présentèrent comme des opportunités pour
corriger des anciens vices. Lors de la rédaction du statut d’autonomie en 1978,
on contempla la possibilité d’établir un système de financement qui n’était pas
basé sur ce que l’administration centrale devait céder à l’administration
autonome, sinon sur ce que la Catalogne devait donner à l’administration
centrale. Il s’agissait de concéder au pays le droit de décider en pleine
liberté les destinations de la plupart de son argent tout en restant solidaire
avec les territoires moins développés de l’État. La proposition, aussi dénommée
le pacte fiscal, fut refusée par le Gouvernement espagnol présidé par Adolfo
Suarez, et le sujet de l’économie resta relégué parce que, à ce moment-là,
l’intérêt d’atteindre des compétences dans d’autres domaines considérés
indispensables pour unifier le pays, comme la langue ou l’éducation était plus
fort.
En 1994, la
Catalogne payait 20% de plus que la moyenne espagnole et recevait 17 % de moins
que cette moyenne. Malgré cela, elle entraînait et entraîne toujours une image
de non-solidarité non combattue en dehors de la Catalogne car elle rapporte des
bénéfices politiques et économiques aux partis espagnols et aux structures de
l’État. L’ironie consiste dans le fait que la Catalogne est à la tête du
processus autonomique, et si elle atteint une compétence, les autres
communautés réclament également la cession de cette compétence à l’État dans un
curieux exercice d’imitation. Cela pourrait être la raison pour laquelle Madrid
refuse de parler de reformes du financement de la Catalogne. Une tâche ardue en
vue, une faible envie de réparer les injustices.
Jordi Mata (Texte)
Agustí Alcoberro, Francesc Cabana, Josep Maria Solé i Sabaté (Assistance) Maja Zoll (Traduction)
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