mardi 28 mai 2013

Pourquoi la catalogne veut-elle organiser une consultation sur son futur?

Cette note a pour but d’expliquer pourquoi le peuple catalan veut voter. Cependant, une simple liste des doléances et maux n’exprimerait pas l’esprit d’optimisme, tolérance et modernisation représenté par le mouvement indépendantiste.

Pendant longtemps de nombreux Catalans et Catalanes auraient été contents d’être une région en Espagne avec un statut comparable à celui d’un État fédéré allemand (Bundesland). Mais ce statut n’a jamais été atteint. La forte opposition en Espagne a répondu mollement à la décentralisation (dévolution), qui est devenue chaotique et inefficace. Maintenant, l’Espagne est en train de se recentraliser et le multiculturalisme au sein de l’État a été rejeté.

Cela a débouché sur un déplacement de l’opinion publique en Catalogne. Nombreux sont ceux qui ne reconnaissent plus l’Espagne tolérante et inclusive qu’ils avaient l’espoir de voir construire après la mort de Franco. Ils veulent organiser une consultation afin de pouvoir décider de leur futur librement, paisiblement et démocratiquement.

Pendant 35 ans la Catalogne a essayé de s’accommoder politiquement au sein de l’Espagne. Maintenant, les Catalans et Catalanes partagent le sentiment que les pourparlers sont devenus impossibles.

L’opinion publique en Espagne semble être en faveur de l’uniformité et la centralisation. Les deux partis politiques principaux ne sont pas préparés à engager des mesures de sauvegarde de la décentralisation.

Les deux partis délégitiment maintenant une consultation sur l’indépendance de la Catalogne. Mais se cacher derrière une Loi (que l’on pourrait modifier facilement) ne résout pas le problème. Pire encore, cela signifie que l’Espagne devra choisir, finalement, entre le maintien de ces nouvelles valeurs démocratiques et la retenue de la Catalogne contre son gré.





Informations complémentaires et arguments

le modèle espagnol de dècentralisation a èchouè


Une grande partie des élites espagnoles s’est opposée à la décentralisation de tout temps. Cela a donc été un processus difficile et hésitant. Le système résultant est chaotique, sans règles claires et on ne sait qui fait quoi.

La décentralisation s’est déroulée de façon si lente et compliquée que certaines compétences prévues par la Loi de 1979 de décentralisation envers la Catalogne (dénommée Statut d’Autonomie) restent à l’attente d’être transférées. Tout comme d’autres pouvoirs résultants de la Loi sur le statut révisé, qui date de 2006.

Et même si les pouvoirs arrivent à être décentralisés, les règles sont compliquées et vagues. Et les ressources nécessaires pour rendre effectifs ces nouveaux pouvoirs ne sont pas mises à disposition. Dans ce contexte, les conflits de compétence sont à l’ordre du jour de la politique espagnole.

Le Gouvernement espagnol a commencé à utiliser habilement les échecs et les insuffisances de ce système afin de justifier la recentralisation. Mais en réalité, la décision de rendre la décentralisation inefficace fut prise bien des années auparavant.

Après la centralisation et répression sous Franco, la Constitution de 1978 avait pour but de résoudre la situation de certains territoires –notamment la Catalogne et le Pays Basque– en créant des « Communautés Autonomes » au sein d’un État qui, pour le reste, restait centralisé. Or, le modèle de « Communauté Autonome » fut étendu à la totalité de l’Espagne et, de cette façon, de nombreuses nouvelles régions furent créées du jour au lendemain.

La généralisation de ce modèle conçu spécifiquement pour s’adapter à des réalités exceptionnelles a rendu la décentralisation impossible. La diversité des nouveaux acteurs n’a pas permis que le centre et les régions puissent établir des relations bilatérales fortes, comme c’est le cas au Royaume-Uni. Et les régions n’ont pas non plus créé de mécanismes de coordination entre elles, comme c’est le cas des pays fédéraux.

Qui plus est, le Gouvernement central pouvait justifier son aversion à la décentralisation des pouvoirs en affirmant qu’il fallait dès lors analyser les conséquences potentielles de chacune des compétences décentralisées pour toute l’Espagne et plus seulement pour une seule région. Le modèle de « Communauté Autonome » était devenu incapable de résoudre le problème qu’il était censé débloquer.
Notamment, l’Espagne ne dispose pas, comme les États fédéraux, d’un système bicaméral dans lequel les territoires peuvent faire partie activement et effectivement du processus national de prise de décision. Le Sénat espagnol semble n’être qu’un organe consultatif, bien qu’il soit censé représenter les 17 « Communautés Autonomes » ainsi que deux « Villes Autonomes » d’Afrique du Nord.

Alors que toute proposition législative doit être votée par le Congrès et le Sénat, en cas de désaccord le Congrès pourra facilement imposer son point de vue.

la solidarité remplacée par l’injustice

En Catalogne, personne ne doute qu’il faut être solidaire avec le reste de l’Espagne et l’Europe. Le vrai problème c’est que la Catalogne paie tant d’argent aux autres régions espagnoles plus pauvres que ses propres systèmes d’éducation et de bien-être, ainsi que ses infrastructures routières et ferroviaires en Catalogne se trouvent réduits à un état bien pire que ceux des régions aidées par la Catalogne.

L’État espagnol n’a pas investi dans des infrastructures clés et, ce faisant, il a affaibli l’économie catalane. Il faut savoir qu’en Espagne les politiques d’infrastructures se décident en fonction des intérêts politiques et non pas en fonction des priorités économiques.

Par exemple, l’Espagne a construit le réseau ferroviaire de grande vitesse le plus élargi d’Europe et continue à y ajouter de nouvelles connections, malgré la fermeture de connections existantes par manque de passagers.

D’immenses aéroports régionaux ont été construits sans qu’aucune compagnie aérienne ne veuille y atterrir! En même temps, les investissements réalisés dans le corridor de transport stratégique qui passe par la Catalogne sont absolument déficients. Il s’agit du corridor principal de cargo et de connexion entre l’Espagne et le reste de l’Europe. Un corridor clé pour les économies catalane et espagnole, que l’Union Européenne considère comme l’une des priorités à échelle européenne.

Néanmoins, le Gouvernement espagnol promeut la construction d’une nouvelle connexion à travers les Pyrénées afin d’éluder la Catalogne, même après le refus de l’UE, qui considère cette option impraticable.

Grâce à des réformes en 2006 une nouvelle loi espagnole garantit un minimum d’investissements de l’État espagnol en Catalogne. Cette loi a cependant été ignorée par les successifs Gouvernements espagnols.

De même, le Gouvernement espagnol a accordé publier les chiffres officielles concernant les balances fiscales (la différence entre les impôts payés par les régions et les services publics ou investissements versés par l’État). Ces chiffres, publiés une seule fois, confirment que la Catalogne paie beaucoup plus que sa juste part.

Chaque année le déficit fiscal de la Catalogne se chiffre à 8,7% de son PIB. Au lieu de résoudre ce problème, les autorités espagnoles ont décidé de ne plus publier ces chiffres.

C’est pour cela que la Catalogne, l’un des moteurs économiques de l’Europe, est à présent fortement endettée et peine à payer les services publics essentiels.

l’espagne ne veut pas devenir une société multiculturelle

De nombreux politiciens, de droite et de gauche, ne considèrent pas les différences entre la Catalogne et le reste de l’Espagne comme un riche héritage culturel, mais comme une menace contre l’unité nationale.

Un discours récemment prononcé au Parlement espagnol par le Ministre de l’Éducation a provoqué une forte alarme car il annonçait la nécessité d’« espagnoliser » les élèves catalans. Les commentaires incendiaires par rapport à la Catalogne sont à l’ordre du jour de la politique espagnole. Certes, ils servent à gagner des votes mais ils n’encouragent guère un sentiment d’unité.

Compte tenu des 9,1 millions de personnes qui parlent activement catalan, il ne s’agit pas d’une langue minoritaire. Mais au lieu de la considérer comme partie intégrante de la culture espagnole, l’utilisation du catalan se perçoit souvent comme une attaque contre l’identité espagnole.

Le bilinguisme aux écoles constitue un différend spécifique. En Catalogne, il y a une acceptation générale du modèle d’école publique bilingue parce qu’il garantit que tous les élèves deviennent bilingues en espagnol (castillan) et catalan. Néanmoins, les médias et politiciens espagnols ne cessent de tergiverser cette réalité en affirmant que le système éducatif catalan est ségrégatif et antiespagnol. Et l’on recourt à la Constitution espagnole et aux tribunaux pour créer un droit à une éducation exclusivement en espagnol. Dans les faits, cela mènerait à la création d’écoles ségréguées et à une société divisée.

la constitution espagnole n’appartient plus à tous

La Constitution de 1978 fut conçue pour permettre une certaine flexibilité et marge de compromis politique. Mais l’interprétation du texte est devenu un monopole des deux principaux partis politiques en Espagne, qui insistent sur une lecture fort restrictive de la décentralisation et du multiculturalisme.

Une telle interprétation à beau représenter l’opinion majoritaire en Espagne, mais le fait d’utiliser la Constitution pour imposer des restrictions à une minorité particulière a miné le consensus sur lequel se basait la Constitution espagnole. Pour cette raison, de nombreux Catalans et Catalanes remettent en question la légitimité d’une Constitution contrôlée exclusivement par d’autres et systématiquement utilisée contre la Catalogne.

Quelques changements, comme ceux permettant d’organiser une consultation populaire, pourraient se réaliser facilement en interprétant le texte actuel d’une façon moins restrictive. Mais cela est impossible dans le climat politique actuel.

Et une réforme approfondie de la Constitution est impossible en raison d’une procédure qui requiert que les deux chambres du Parlement espagnol approuvent la réforme avec une majorité de 2/3, puis des élections générales et davantage de votations aux deux chambres et, finalement, un référendum.

L’impossibilité de réformer la Constitution est importante parce que la version actuelle est devenue fortement politisée.

La Cour Constitutionnelle espagnole n’est plu perçue comme un forum de justice neutre. Les nominations de juge sont contrôlées scrupuleusement par les deux principaux partis politiques et les juges n’hésitent pas à se mêler directement de questions politiques.

Compte tenu que les constitutions démocratiques admettent un certain degré de flexibilité, les tribunaux d’autres pays argumentent que les juges ne devraient pas tomber des décisions prises par des représentants élus du peuple, sauf si l’énoncé de la Constitution n’admet en aucun cas une interprétation favorable.

Mais les tribunaux espagnols considèrent qu’il n’y a qu’une seule lecture « correcte » de la Constitution et ont tendance à faire prévaloir leurs décisions au lieu de celles adoptées par des représentants du peuple.

En concédant une marge aussi étroite au processus démocratique le Tribunal semble agir sous une motivation politique et compromet ainsi sa propre légitimité.

Comme dans le cas de la sentence contre la décentralisation de 2010. De nombreux Catalans et Catalanes n’arrivaient alors pas à croire avec quelle complaisance le Tribunal espagnol avait tombé une loi votée par le Parlement de Catalogne, par le Parlement espagnol et par une consultation en Catalogne.

la catalogne a proposé des solutions mais l’espagne refuse d’en parler

Considérée d’un point de vue catalan la décentralisation a été une expérience pleine de négociations aigres et de promesses rompues. Cependant, cela ne signifie pas que la Catalogne n’ait pas continué à chercher des accords.

En 2006, la Catalogne a proposé des solutions pour améliorer la qualité de la décentralisation. Un nouveau « Statut d’Autonomie de la Catalogne » allait définir clairement qui fait quoi et avec quelles ressources pour mettre fin aux contentieux constants entre le Gouvernement central et les régions. La proposition catalane fut approuvée par 89% des députés du Parlement de Catalogne, mais elle fut reçue par le reste d’Espagne avec colère et hostilité.

Le Premier Ministre espagnol d’alors, M. José Luis Rodríguez Zapatero, rompit sa promesse de seconder la proposition sans modifications ultérieures et M. Rajoy, Premier Ministre actuel, aida à collecter des signatures dans la rue en faveur d’une pétition contre cette proposition. Des boycotts contre les produits fabriqués en Catalogne furent lancés et les évêques prirent fait et cause en contre. Finalement, un commandant sénior fut arrêté pour avoir préconisé une intervention militaire.

Suite à des pourparlers difficiles une réforme beaucoup plus modeste fut votée par le Parlement espagnol et –malgré un funeste pressentiment– par un référendum en Catalogne. Néanmoins, à ce moment-là le parti de M. Rajoy présenta un recours devant le Tribunal Constitutionnel. Quatre ans plus tard ce tribunal annula des passages clés de cette loi et, dans les faits, renversa le processus de décentralisation.

Les passages de la loi qui ont survécu à ce verdict, notamment les règles de distribution des ressources en Espagne, ont été simplement ignorés par le Gouvernement espagnol.

Malgré ces échecs, le Parlement de Catalogne a engagé de nouveaux essais de négociation en 2012 en proposant un nouveau système de taxation, notamment le « Pacte Fiscal », qui aurait pourvu la Catalogne d’un régime similaire à des régimes qui existent dans d’autres Communautés Autonomes.

En dépit de 80% des député(e)s catalan(e)s qui votèrent en faveur des aspects clés de cette proposition, le Gouvernement espagnol refusa d’en parler.

Certains politiciens veulent toujours négocier davantage afin de transformer l’Espagne en État fédéral. Mais le Gouvernement espagnol a déjà refusé cette idée en affirmant qu’elle est inacceptable.

Cependant, bon nombre de Catalan(e)s ne croient plus en des négociations avec l’Espagne parce que l’Espagne ne veut pas négocier.

le mouvement d’autodetermination catalan

Le mouvement d’autodétermination catalan est un mouvement social, pacifique, transversal et indépendant des partis politiques. Deux manifestions de masse ont eu lieu à Barcelone : en 2010 avec une participation d’environ 1 million de personnes et en 2012 avec une participation d’approximativement 1,5 million: l’une des plus grandes manifestations jamais organisées en Europe.

En outre, plusieurs campagnes et activités ont été organisées par la société civile catalane. Notamment, malgré les restrictions appliquées environ 890.000 citoyen(ne)s ont participé à des consultations populaires non officielles organisées dans plusieurs villes dans toute la Catalogne. Actuellement, de plus en plus de mairies votent des résolutions en faveur de l’indépendance: à ce jour 654 mairies, qui représentent 68% de toutes les communes catalanes. La somme de ces protestations a changé le paysage politique de la Catalogne.

Ce réalignement de la politique signifie que la nouvelle donne politique n’est pas toujours facile à comprendre. Suite aux élections catalanes de novembre 2012 les médias espagnols soulignèrent uniquement le fait que le parti gouvernant avait perdu des votes et des sièges. Mais la question centrale était de savoir si une consultation populaire devait s’organiser. La participation électorale de 70% avait battu un record et les partis en faveur d’une consultation –poursuivant l’indépendance ou une réforme fédérale– gagnèrent 74% de tous les votes. Les partis contre la consultation obtinrent 20% des votes.

En mars 2013 une résolution parlementaire invitant le Gouvernement de Catalogne à négocier avec le Gouvernement espagnol pour organiser une consultation populaire fut secondée par 77% des parlementaires catalan(e)s.

Quant à l’indépendance, les sondages montre une tendance constante depuis l’été dernier. Par exemple, le dernier sondage du Centre d’Études d’Opinion du Gouvernement de Catalogne a révélé en février 2013 que 54,7% des personnes interrogées voteraient en faveur d’une consultation qui se tiendrait le lendemain, 20,7% contre et 17% s’abstiendraient. Le pourcentage restant regroupe les votes indécis.

Ces résultats permettent d’estimer qu’une consultation populaire avec une participation électorale de 83% signifierait 66% de votes en faveur de l’indépendance de la Catalogne. 

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