samedi 8 décembre 2012

'La Catalogne vers l’indépendance' par José Fontaine

Une chose était frappante en Catalogne après la disparition de Franco et du régime franquiste en Espagne en 1975 : la résurgence extraordinaire du nationalisme catalan durement combattu par Franco qui lorsqu’il s’empara de Barcelone le 1er avril 1939 (fin officielle de la guerre civile en Espagne), y prit des décrets interdisant par exemple l’usage du catalan par les fonctionnaires ou de la danse nationale, la Sardane. Mais surtout sans doute, l’irruption dans les rues de Barcelone d’un million de Catalans réclamant le rétablissement de la Generalitat, le nom traditionnel donné au gouvernement autonome de la Catalogne.
 
La répétition de la manifestation du 11 septembre 1977 en 2012
Cette manifestation avait été précédée des premières élections en Espagne depuis le renversement (progressif au fur et à mesure de l’avancée des troupes franquistes) de la République par le coup d’Etat de 1936 (venu du Maroc espagnol), coup d’Etat d’ailleurs en partie motivé par les autonomies récemment acquises du Pays Basque et de la Catalogne en 1932 qui impliquaient notamment des compétences étendues y compris dans le domaine du maintien de l’ordre et de la Justice, l’adoption du catalan comme seule langue officielle. La résistance au franquisme fut grande en Catalogne comme au Pays Basque, l’abbaye de Montserrat étant un des foyers de la résistance politique, morale et culturelle.
Mais la manifestation de ce 11 septembre 2012 aura été encore plus impressionnante que celle du 11 septembre 1977 (le 11 septembre, les Catalans fêtent étrangement une défaite militaire et la fin de l’autonomie catalane suite à l’entrée des troupes franco-espagnoles à Barcelone à la fin de la guerre de succession d’Espagne et du long siège de Barcelone en 1714). Elle est d’autant plus impressionnante que l’on se demande dans les pays démocratiques traditionnels ce qu’est devenu le peuple. Le penseur politique Rosanvalon considère même qu’il est introuvable. Rosanvalon écrit notamment : « les individus ne sont plus capables de s’appréhender comme membres d’une société et (...) leur inscription dans une totalité lisible et visible est devenue pour eux problématique ». Mais il fait une exception des Révolutions, assimilables selon moi aux événements du 11 septembre 1977 ou du 11 septembre 2012 où, comme dans les Révolutions, d’une certaine manière le peuple se prouve à lui-même son existence. Il n’est pas étonnant d’ailleurs que la manière constitutionnelle ou légale dont se représente le peuple catalan ait été confirmée aux élections de dimanche passé avec un Parlement catalan composé aux deux tiers de députés partisans de l’indépendance.
 
Indépendance de la Catalogne et crise de l’euro
Lors de l’annonce de cette victoire indépendantiste au JT de la RTBF, le présentateur évoqua la menace qui a été faite à la Catalogne d’être exclue de l’Europe si elle décidait de son indépendance alors qu’elle n’est pas (encore), un Etat souverain. Cette menace a bien été formulée, ce qui en dit d’une certaine manière long sur l’esprit européen en Wallonie de plus en plus malsain.
Je le dis dans la mesure où l’échec des référendums d’approbation du Traité constitutionnel européen en France et aux Pays-Bas a amené les gouvernements de ces deux pays à ne plus en référer au peuple souverain, ce qui est quand même un dénégation éclatante des principes mêmes de la démocratie (le Parlement wallon avait lui aussi refusé d’organiser un référendum). Le référendum qui devrait avoir lieu en Catalogne sur l’indépendance se tiendrait dans quatre ans. Mais, indépendamment - si l’on peut s’exprimer comme cela, évidemment ! - de ces considérations démocratiques, il est clair que de telles hypothèques institutionnelles pesant sur l’avenir de l’Etat espagnol, l’un des Etats les plus mal en point dans la crise de l’euro, on a de quoi avoir peur, indépendamment aussi de toute la sympathie que l’on peut manifester pour l’indépendance de la Catalogne et la renaissance du catalan, l’une des grandes langues de l’Europe, la première langue vernaculaire qu’un philosophe européen ait employé au lieu du latin, Raymond Lulle.
La politique menée dans l’actuelle Union européenne est de plus en plus dominée par les dirigeants allemands au point que l’historien Perry Anderson titre dans Le Monde Diplomatique de ce mois, L’Europe face à l’hégémonie allemande et cite même l’article d’un juriste allemand important, trouvant légitime cette domination de l’Allemagne ou ce Secrétaire général de la CDU (démocrates-chrétiens allemands), Volker Kauder, estimant que « désormais l’Europe parle allemand ». L’Allemagne s’est assuré la domination de l’Europe via la monnaie commune qui dans un premier temps conforta le projet européen et dont l’adoption par la France de Mitterrand avait été calculée comme une façon d’éviter justement la domination allemande.
Dans les milieux où j’ai évolué, le projet de construction européenne a toujours été une sorte d’évidence comme peuvent l’être par exemple les principes universalistes de la morale et droit. Certains amis de mon âge à l’Athénée et moi-même critiquions cependant nos professeurs au nom de l’Europe du général de Gaulle. Un homme violemment critiqué par tout ce que contenait de belge (et de belgicain), tout l’establishment belge de l’époque, notamment Paul-Henri Spaak qui crut devoir dire dans ses Mémoires que l’Histoire jugerait de Gaulle comme un personnage exceptionnel mais non comme un grand homme étant donné sa politique à contre-courant de la même Histoire...
Je dois dire que la revue que je dirige (ou le journal République qui lui a été associé un temps), avaient dès 1992 pris parti contre Maastricht après avoir interrogé longuement le philosophe Jean-Marc Ferry. Mais tout en croyant quand même toujours à l’Europe non sans critiquer surtout sa politique sociale.
Mais malgré tout, il est sans doute encore peu de monde qui écrirait ce que vais écrire (peut-être pour la première fois), tellement l’idéal européen nous a tous imprégnés : la construction européenne doit être stoppée le plus vite possible. Elle est en train de mener à quelque chose qui risque de reproduire, dans une paix illusoire, les mêmes menaces qui ont mené la deuxième déflagration mondiale : le chômage, la misère et le fascisme.
 
Les indépendances de pays d’Europe, une régression ?
Il est un autre dogme qu’il faut briser, c’est celui selon lequel les indépendances de certains pays d’Europe correspondraient à une régression et à un « repli sur soi » (trois mots qui condamnent tant le nationalisme wallon que québécois), réaction régressive face à la mondialisation et à l’élargissement exceptionnel de l’horizon des êtres humains que permet la modernité. Tant au Québec qu’en Wallonie, on a souvent adopté une attitude défensive face à cette mise en cause. Il faut passer à l’offensive : c’est au contraire le monde faussement mondialisé sous hégémonie américaine qui est une formidable régression. Défensivement on observera que, de toute façon, les pays d’Europe qui depuis cent ans sont devenus soit souverains, soit fortement autonomes, le sont devenus dans des circonstances qui n’ont guère de parenté les unes avec les autres, la Norvège se séparant de la Suède à la fin du XIXe siècle, l’Irlande contre le colonialisme anglais intra-européen en 1921, la Catalogne en 1932, à cause de la République, la Wallonie à la suite ou dans la le sillon creusé par une des grèves générales les plus extraordinaires de l’histoire du mouvement ouvrier socialiste - celui qui nous manque cruellement aujourd’hui ! Cruellement ! Cette Europe de nouveaux pays européens depuis 1990 n’annonce nullement un morcellement européen et concerne 13 pays dont personne ne contestera la legitimité.
 
L’Europe des Régions, utopie dangereuse
On peut montrer aussi - notamment aux Français républicains qui exercent une influence négative à cet égard en Wallonie notamment - que des souverainetés comme celles de la Catalogne, de l’Ecosse, de la Flandre et de la Wallonie, du Pays Basque n’inaugurent en rien une Europe de 200 ou 300 Régions souveraines (au sens du fédéralisme) comme certains régionalistes en ont parfois parlé et qui serait, effectivement, un recul de la civilisation de par la destruction des grandes nations européennes qui accompagnerait sa mise en place. Il suffit de regarder un peu la carte de l’Europe des 27 pour bien voir que le seul grand Etat qui serait menacé par l’irruption de Régions souveraines est peut-être l’Espagne (et encore le mot « irruption » est mal choisi, dans la mesure où les candidats à la souveraineté ont derrière eux le plus souvent une longue quête historique de celle-ci, quelque chose d’illégitime dans le fait d’avoir été incorporés à une puissance étrangère contre leur gré, l’Ecosse par exemple ou le mépris des Wallons et des Flamands qui a présidé à la naissance de la Belgique).
Il y a 27 Etats-Nations en Europe (chaque fois que l’un d’eux est cité je mets un chiffre entre parenthèses qui n’est que celui de son apparition dans cette énumération). Vingt d’entre eux sont insécables, car très homogènes à tous égards, avec une population qui souvent n’excède par les 10 millions d’habitants sauf par exemple les Pays-Bas (1) (près de 17 millions d’habitants : comment faire pour que les Pays-Bas soient autre chose qu’une nation, même dans une Europe des Régions ?). Sauf la Roumanie (2) (qui a 21 millions d’habitants), qui a reconnu des droits à sa minorité hongroise. Les dix-huit autres sont les trois plus petits pays d’Europe [Chypre (3) , Malte (4), Luxembourg (5)], les trois « scandinaves » [Danemark (6) et Suède (7) + la Finlande (8) qui n’est pas à proprement parler scandinave mais se situe géographiquement à proximité], les trois baltes [Estonie (9), Lituanie (10), Lettonie (11)], la Slovénie (12), la Slovaquie (13), la Tchéquie (14) (qui a un peu plus que 10 millions d’habitants), l’Irlande (15), le Portugal (16) (un peu plus de 10 millions d’habitants également), la Grèce (17), la Bulgarie (18) l’Autriche (19) , la Hongrie (20). Il y a la Belgique (21) (avec plus de 10 millions d’habitants également) qui est sécable en raison d’un fédéralisme qu’il n’est pas excessif de considérer comme de dissociation.
L’Allemagne (22) est déjà une sorte de nation des régions et c’est même ce qui renforce son unité. La France (23) pourrait être considérée comme formée de régions qui pourraient devenir autonomes, mais la manière dont la France s’est unie (à l’inverse de l’Allemagne, soit par le haut), est aussi très forte. L’Italie (24) aussi qui est peut-être entre le modèle allemand et le modèle français. Même le Royaume-Uni (25) : toutes les tentatives d’y instaurer le fédéralisme se sont heurtées au fait que l’Angleterre est insécable, soit 90 % de la population du Royaume Uni. La Pologne (26) ne semble pas avoir des Régions au même titre même seulement que la France. Il reste l’Espagne (27) où la Catalogne et le Pays basque ne seront jamais espagnols.
Il est à souligner que plus d’une dizaine des nations de l’Europe des 27 ont un nombre d’habitants inférieur à celui du Pays wallon (3,5 millions d’habitants] : Malte, Chypre, Luxembourg, Slovénie, Lettonie, Estonie, Lituanie. Ou une population guère plus élevée : Irlande, Slovaquie, Finlande, Danemark.
 
Québec, Wallonie et démocratie
Toute cette réflexion se veut aussi porteuse du souci de la démocratie et du souci de la rupture avec le néolibéralisme. Le principal parti catalan indépendantiste (Convergència i Unió), mène en Catalogne une politique d’austérité et ne semble pas mettre en cause l’Europe sauf d’un point de vue nationaliste, mais d’autres partis nationalistes catalans mettent fortement en cause cette politique, que, de toute façon, non seulement prônent mais souvent appliquent tous les partis socialistes, y compris en Wallonie (quoique fortement contestés par les syndicats proches), et, hélas !, le principal parti nationaliste flamand qui, à mon sens, aurait mieux à faire que de vouloir une austérité plus grande encore, une diminution des impôts pour les ménages les plus fortunés de la classe moyenne.
D’un point de vue québécois comme wallon, il y aurait toute une réflexion à faire sur ce qui porte un pays à l’indépendance. Lors de ma première visite en Catalogne en août 1978, je n’ai jamais douté qu’elle était une nation, pas plus que je ne doute que le Québec en soit une, depuis le 24 juillet 1967, conviction renforcée par un voyage en 2004. Mais je suis frappé par cette réflexion de Christian Traisnel (qui enseigne les sciences politiques à Moncton) : en démocratie, sur des questions fondamentales et disputées, il est extrêmement difficile de rassembler une majorité. On peut le regretter du point de vue des buts nationaux à atteindre tant en Wallonie qu’au Québec. Comme on le voit en Europe avec l’Allemagne, les nations dites démocratiques - avec cette apparence de légitimité que donne le fait accompli - violent la démocratie et n’ont guère de scrupules à empêcher par la fraude, la force et le matraquage que l’on se sépare d’elles. C’est ici que nous pouvons peut-être, au-delà même de la nation que nous voulons de toutes nos forces, apporter quelque chose au monde que même la belle idée au départ de l’Union européenne est en train de piétiner. Son discrédit est grand dans l’opinion des peuples européens et les récompenses que cette odieuse mascarade de la fraternité et de la paix lui valent, la discréditeront plus encore.
 
 
 
 
José Fontaine , est un journaliste belge et militant autonomiste wallon. Il étudie la philosophie à l'Université Catholique de Louvain, doctorat en philosophie avec une thèse intitulée Le Mal chez Rousseau et Kant. Il a fait des études de théologie au Grand-Séminaire de Namur. Après ses études, il enseigne la philosophie dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart. Il à fondée la revue 'Toudi'.

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