lundi 1 décembre 2014

Manifeste d’un «Doble Polaco»

Je suis né en 1984 à Paris d’un père Catalan et d’une mère Polonaise, tous deux naturalisés Français. Mon père avait trois ans quand lui et sa famille ont quitté Barcelone à cause de leurs idées. Longtemps, j’ai été Français par défaut. Mais mes racines restaient vivantes en moi. Nous allions souvent voir des cousins en Pologne, mais plus rarement en Catalogne : une grande partie de la famille était disséminée aux quatre coins du monde. Mon adolescence passa, et je me posais mille questions : Etais-je Français ? Catalan ? Polonais ? Européen ? Ou un Américain typique?



Quand j’ai terminé mes études, j’ai mis mon CV sur Internet, avec la mention que je parlais Polonais, et j’ai reçu des propositions d’emploi pour travailler à Varsovie et Cracovie. J’ai finalement accepté de travailler en Pologne pour créer la filiale d’une entreprise de construction à Madrid, membre d’un grand groupe industriel espagnol. Mes parents étaient surpris et fiers : un double retour aux racines et la perspective d’être aimé par les madrilènes pour ce que j’étais : un polonophone avec une mentalité ouverte et européenne, le vrai fils de mes parents. Mon père avait eu des problèmes chaque fois qu’il était allé à Madrid, mais il ne m’a rien dit, il était content.

J’ai d’abord passé quelques semaines à Madrid, où j’ai appris le castillan en trois semaines. Dans mon hôtel à Madrid, on pouvait recevoir le journal, mais comme j’arrivais toujours tard, il ne restait que la Vanguardia, que personne ne voulait lire. J’ai donc appris le castillan avec un journal de Barcelone.

Tout le monde était très sympathique et on m’a appris qu’à Madrid, on appelait les Catalans « Polacos » pour rire. J’étais vraiment très content car cela signifiait que j’avais une identité claire : j’étais « Doble Polaco ». Grâce à Madrid, j’étais enfin 100% quelque chose !

En Pologne, j’ai développé la filiale, j’ai embauché et formé du personnel, j’ai travaillé tous les jours de la semaine, j’ai bu de la vodka avec des clients potentiels qui voulaient surtout parler de foot (du Barça dans la majorité des cas), j’ai finalement obtenu des contrats très lucratifs qui ont lancé définitivement l’entreprise en Pologne, avec 50 % du chiffre d’affaires de l’entreprise au total ! Jusque-là, personne ne m’avait aidé, les gens à Madrid disaient que l’on ne faisait rien en Pologne, et que cela ne servait à rien. Mais le fait que nous allions gagner beaucoup d’argent changeait tout. L’Espagne était en crise et la crise avait atteint nos activités, et tous ces gens furent d’un coup très excités : ils voulaient plus et ils voulaient tout. 

Comme ils étaient influents auprès du chef -ils étaient de sa famille, ils ont pris le pouvoir, et un jour nous reçûmes un mail comme quoi je n’étais plus responsable de la filiale en Pologne. Et mon chef, le directeur international, un Français, fut aussi démis de ses fonctions. Nous n’avions rien fait de mal, aucune erreur, ni rien volé, nous avions juste trop de pouvoir et c’était inadmissible pour les gens de Madrid que des étrangers aient autant de pouvoir. Mon nouveau chef à Varsovie ne parlait ni polonais ni anglais et il a passé la première année à dire que le problème de la Pologne, c’était qu’ils ne comprenaient rien à la façon de faire supérieure des Espagnols. Il a voulu qu’on fête son anniversaire avec l’argent de l’entreprise. Il a commencé à faire des choses bizarres dans la gestion financière de l’entreprise, et il avait toujours environ 1000 euros en liquide sur lui, tout cela semblait louche. Les mêmes gens qui avaient bloqué mon travail pendant deux ans venaient à présent en Pologne pour l’organiser de manière autoritaire. Moi qui n’avais reçu aucune aide pendant deux ans, j’avais à présent à écouter des ordres absurdes de gens qui ne comprenaient rien au marché Polonais.

Entre temps, j’avais beaucoup lu la Vanguardia à chaque passage à Madrid, et j’avais entendu beaucoup d’insultes contre les Catalans dans les bureaux de Madrid ou de Varsovie. Je m’étais rendu compte que mon hôtel à Madrid était situé dans une rue qui porte le nom d’un membre de la « Division Azul », dont le travail fut de ralentir les Russes sur le front de l’Est, et donc la libération des camps ou tant de mes ancêtres polonais sont morts. Un Polonais était allé à Barcelone en vacances, et mon chef lui a dit de ne pas y aller, car c’était une mauvaise ville. « Quelle idée d’aller en Catalogne ? ». Tout ça me rendait proche des Catalans, qui souffrent d’être vus comme les Juifs dans d’autres sociétés, à certaines périodes de l'histoire : ils sont coupables de tout. Dans mon entreprise aussi, comme c’est moi qui avais créé la filiale, mon chef commença à dire que quand quelque chose allait mal, c’était de ma faute. Quand tout allait bien, c’était sa gloire et son succès.

Au début, je riais, mais à un moment j’ai commencé à pleurer. Ce style ne me plaisait pas et j’ai voulu du changement.

D’abord, j’ai demandé une plus grande autonomie dans mon travail au niveau des objectifs de vente et des primes. Ils ont refusé. C’était contre la politique de l’entreprise.

Ensuite, j’ai demandé à devenir travailleur indépendant en continuant à travailler pour eux, mais à ma manière. Ils ont refusé. C’était contre la politique de l’entreprise.

Alors j’ai pris la décision de quitter l’entreprise, le 7 juin, jour de la révolte des Segadors. Quand ils ont reçu ma lettre de démission, j’ai reçu des intimidations de la part de mes chefs : « Tu n’as pas le droit de partir » ; « Il fallait nous en parler avant » ; « Tu partiras quand nous le déciderons » ; « Tu ne travailleras jamais plus dans une entreprise si brillante que la nôtre ».

Mais moi j’étais extrêmement content de devenir libre. Je quittais mon emploi sans en avoir trouvé d’autre, sans avoir de salaire ni raison de rester en Pologne, mais j’étais très heureux. A mon pot de départ, j’ai amené du cava catalan et j’ai regardé tout le monde le boire, certains avec dégoût. Depuis, ils n’arrêtent pas de m’envoyer des mails pour me demander de continuer de collaborer avec eux de manière indépendante.

Alors voici comment, alors qu’en 2008, je ne parlais pas un mot de catalan et de castillan, en 2014, je suis devenu indépendantiste catalan, tentant de convaincre les Français jacobins de la justesse du processus Indépendantiste catalan.

Car à mon petit niveau, cette histoire que j’ai vécue est une histoire Catalane. A mon entreprise, j’ai apporté beaucoup de mon intelligence, j’ai « découvert l’Amérique » pour eux, mais ils ne m’ont pas considéré comme l’un des leurs, et ils se sont approprié tout l’or et la gloire, sans me faire partager. La prochaine fois que je travaille avec des Madrilènes, je dirai que je suis génois.

La Catalogne et la Pologne sont deux pays de tradition démocratique "trop" ancienne qui souffrent d’avoir des voisins absolutistes qui ne nous comprennent pas, et je suis fier d’être un « doble polaco », car je crois en la victoire de l’intelligence sur la force, de la démocratie sur la manipulation.

Beaucoup d’Espagnols et de Madrilènes sont très sympathiques, tolérants et démocrates, mais il y aura toujours le risque que ceux qui ne le sont pas arrivent au pouvoir, et le risque est trop grand pour la Catalogne. Il n’y a plus de temps à perdre.

Alors s’il vous plaît catalans ! Devenez Indépendants, que je puisse passer le reste de ma vie à investir tout mon argent dans ce nouveau pays ! Nous serons fiers d’être la Californie européenne, dynamique, jeune et ouverte.














M. Rubió


Note : On ne sait pas vraiment pourquoi le reste de l’Espagne appelle les Catalans « polacos », ni de quand date cette tradition. Le général Franco aurait dit fin 1939 : « Je vais faire de la Catalogne ma Pologne à moi ».

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