mercredi 4 septembre 2013

Un Etat catalan est ce qui convient à la France.



La France est le pays clé en vue du jour J. La caverne espagnole (les médias les plus conservateurs et hispano-espagnols), guidée par le conseil des ministres, suppose que la fraternité entre jacobins est assurée et elle est sûre que la France mettra son veto à la reconnaissance internationale de la Catalogne, mais l'influence du monolingue Rajoy à l'Élysée est inexistante.

La déclaration de Winston Churchill "(les Etats n'ont) pas d'ennemis. (Ils n'ont) que des intérêts permanents" a été entendue à maintes reprises. La Catalogne ayant l'habitude de perdre, elle interprète cet adage contre elle, alors qu'actuellement, il lui est applicable au pied de la lettre. La France est taillée dans un seul bloc, c'est vrai, mais c'est aussi une démocratie et ça serait la première fois qu'elle nie la reconnaissance d'un nouveau pays au sein des forums internationaux. Et si elle le faisait, cela créerait une forte controverse intérieure contre laquelle Hollande n'a pas d'arguments. L'Espagne rancie du PP n'inspire guère de sympathie. Un député national vient de déclarer que la Catalogne et la Flandre sont deux vieilles nations européennes et que le vent de l'Histoire les pousse à construire un Etat.

La Catalogne est le premier client de la France dans la péninsule ibérique, avec plus du tiers du total des exportations, et outre Madrid, le reste du territoire les intéressent peu, c'est loin et épars. Michel Noir, ministre du Commerce extérieur d'un des gouvernements Chirac, est venu à Barcelone après sa prise de pouvoir, conscient d'où se trouvent les intérêts français. Madrid poussa alors des hauts cris, et c'est seulement à ce moment là qu'il décida d'y aller. La Catalogne est donc un partenaire de premier ordre pour la France, comme elle l'est pour l'Allemagne, qui seraient les pays les plus favorisés par une économie sérieuse au sud de l'Europe.

Dans les couloirs de l'Assemblée Nationale, l'avis le plus commun est qu'en Espagne gouverne un parti semblable au Front National qui présente inévitablement des comptes goupillés à l'Europe et que c'est un nid de corruption. Impossible d'avoir confiance en eux. Et la dernière chose dont Paris a besoin c'est d'un incendie à la frontière sud comme celui que Madrid pourrait déclarer.

La France est directement concernée par le processus indépendantiste en cours car il y a des catalans sur le territoire français, car elle a une frontière commune avec la Catalogne, car elle y a des intérêts divers et variés... Mais il est possible qu'elle pose certaines conditions. L'Allemagne dirige l'Union Européenne sur le secteur économique, mais en politique, c'est Paris qui prend les décisions. Les deux grands apportent respectivement 38 et 25% du budget communautaire. Par conséquent, l'Elysée se sent touché par la dette espagnole, car il faudra qu'il paye si Madrid, comme on peut le prévoir, ne peut faire face à ses remboursements.
Le temps des vaches grasses est loin, obligeant le gouvernement d'Hollande à réduire son déficit de 5 milliards d'euros et chaque centime est important. C'est pour cela qu’un processus négocié l'intéresse plus qu'une déclaration unilatérale contrainte par les obsessions de Madrid, et ce, pour que la Catalogne assume la part proportionnelle de la dette.

Paris pourrait se positionner contre l'indépendance de la Catalogne par crainte d'une possible contagion à ses citoyens, mais sur ce point, le gouvernement ne s'inquiète pas, ça fait des années que la Catalogne Nord est assimilée. Les votes des partis catalanistes ne dépassent pas les 1,5% et les revendications sont seulement identitaires. L'unique territoire de la métropole qui pourrait préoccuper est la Corse, mais même sur l'île, les pourcentages de vote n'inquiètent pas. Par contre, la France a célébré des référendums d'autodétermination dans les territoires d'outre-mer, même si elle a toujours été suffisamment prévoyante pour imposer ses critères. Elle a aussi reconnu le Kosovo dès le premier jour, même si elle fut un des alliés principaux de la Serbie.

Les médias de la caverne ont qualifié de défaite pour Mas que le ministre de la Défense et président de la Conférence des régions périphériques maritimes d'Europe, Jean-Yves Le Drian, ait annulé la réunion prévue lors de sa visite à Paris. Y a-t-il vraiment quelqu'un pensant qu'un ministre français n'était pas conscient de ce qu'il faisait lorsqu'il l'a programmée? Le fait qu'il annule la réunion suite aux pressions de Madrid, c'est une autre affaire, mais le geste avait eu lieu. Pour l'instant il n'y a pas encore de processus, au moment où la date du référendum sera fixée, le litige entrera dans l'agenda international et on jouera cartes sur table.

Si la Catalogne accède à l'indépendance, elle ne sera pas pour la France un voisin lointain comme la Slovénie ou la Lituanie mais plutôt comme la Belgique, la Hollande ou la Norvège, un voisin dynamique et intéressant. Le port de Barcelone, libre du boycott officiel dont il est victime aujourd'hui, deviendra la porte d'entrée au coeur de l'Europe des marchandises provenant de l'orient, et surtout de la Chine, qui traverseront ensuite la France. Ceux de Gênes et de Marseille ne peuvent couvrir cette fonction car ils sont complètement construits et saturés. Le centre logistique Vilamalla (à l’extrême nord de la Catalogne) accapare la distribution régionale et a supplanté Saint-Charles (Roussillon). L'augmentation du volume permettrait non seulement de revitaliser Saint-Charles, mais aussi de l'agrandir. Actuellement, la plupart des marchandises font le tour de la péninsule ibérique pour débarquer dans les ports flamands et hollandais et par conséquent un important pourcentage de la transformation des produits est effectué dans les usines à proximité, la France perdant par conséquent ce flux. Le Prat (aéroport de Barcelone) détrône Barajas (aéroport de Madrid) en tant que premier aéroport espagnol, même si la compétition est déloyale.
Les politiques du Midi, associés à la Catalogne et aux Baléares au sein de l'Eurorégion Pyrénées-Méditerranée sont emballés par la perspective d'une Catalogne indépendante. Un Etat prospère ayant pour capitale Barcelone stimulerait toute la zone de Toulouse à Marseille, qui a aujourd'hui une croissance faible. Le maire de Perpignan, Jean-Marc Pujol et le président de la communauté d'agglomération Perpignan Méditerranée vantent depuis octobre à tous les forums où ils se rendent les avantages d'un nouvel Etat aux portes de chez eux. Un autre exemple, ce sont les pages de l'Indépendant, reflet de l'oligarchie locale roussillonaise, qui suit avec un enthousiasme peu dissimulé les avancées indépendantistes de la Catalogne. La région sait qu'une Catalogne indépendante pourra financer, par exemple, la ligne de TGV entre Perpignan et Montpellier que la France a suspendue car les communications avec l'Espagne ne font pas partie des priorités. Mas a rencontré à Paris le président de la SCNF, pour que la compagnie puisse gérer les lignes catalanes dans un futur proche. Il n'est pas nécessaire de préciser quelle Catalogne convient à la SNCF.
La délégation du gouvernement catalan en France, auparavant "Maison de la Catalogne" à Paris, fonctionne actuellement comme une ambassade, avec des français salariés et pas précisément le concierge ou le jardinier. Le siège, situé dans le VIIIème arrondissement, présente la distribution organique propre à une délégation diplomatique avec ses départements d'Economie, de Tourisme, d'Administration et de Culture (Institut Ramon Llull). La responsable, Maryse Olivé, explique sans détours lors de réunions qu'ils travaillent avec le regard tourné vers un nouvel Etat.
Le gouvernement français, de son côté, a fait des gestes positifs, comme destiner 400 000 euros à la Maison des Pays Catalans de l'Université de Perpignan. La diplomatie française veut être présente dans le monde et a dans tous les Etats de taille moyenne, comme par exemple la Hongrie ou la Grèce, un siège culturel ou commercial afin de favoriser les relations bilatérales. Le professeur Joan Becat, de l'Université de Perpignan, a mené une étude sur les opportunités qui s'ouvrent à la Fance grâce à un Etat catalan, il est convaincu que l'Elysée ne mettra pas de bâtons dans les roues à la Catalogne, avis partagé par la plupart des analystes nord-catalans.

Cela fait longtemps que la Catalogne est considérée comme un être à part entière au nord. Les Jeux Olympiques de 1992 ont changé la vision que le monde en avait. Le Barça, Kilian Jornet, Dalí, Miró ou Barcelone elle-même ne sont plus espagnols mais catalans pour les français. Ce que peuvent dire Lluís Llach ou Jordi Pujol a de l'importance. Ce dernier était reçu comme un chef d'Etat lors de ses voyages en France quand il était président de la Catalogne (de 1980 a 2003) et il est encore très bien vu. Il a eu la délicatesse d'envoyer des représentants aux réunions de la francophonie à Bruxelles durant ses mandats. De son côté, Pasqual Maragall (président de la Catalogne de 2003 a 2006), a conseillé que la Catalogne entre dans le club des pays francophones. Ce n'est pas une idée folle, la Roumanie par exemple en fait partie, car la Catalogne est frontalière de la France et elle y a une relation économique et culturelle importante. Ces gestes comptent. L'Elysée sait que la Catalogne est la région d'Espagne où le français est le plus parlé et que le pays se tournera automatiquement vers le nord une fois libre. Paris ne peut pas se permettre le luxe de commencer du mauvais pied ses relations avec son nouveau voisin.

La France n'a pas d'amis, elle a des intérêts. Quand la Catalogne fera le pas, la France mettra dans la balance la "noblesse" espagnole et les opportunités que lui offre un Etat catalan. Elle fera mine de comprendre Madrid, râlera un peu et acceptera les faits. L'Élysée reconnaîtra la Catalogne au nom de la 'realpolitik', car elle n'a pas le choix et surtout parce qu'elle y gagnera. Et pas qu'un peu.


Eugeni Casanova

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