Depuis le début des années 2000,
la lutte sociale pour l’indépendance s’intensifie en Catalogne. Manifestations
monstres, rejet du paternalisme fiscal imposé par le gouvernement de Mariano
Rajoy et indifférence à l’Espagne sont au cœur d’une contestation croissante.
Devant les récentes impasses avec le gouvernement central, le président
catalan, Artur Mas, a annoncé des élections législatives anticipées pour le 25
novembre et proposé la tenue d’un référendum sur l’autodétermination, ce que
Madrid conteste.
Lutte
sur fond de déboires économiques
D’après un sondage du quotidien
barcelonais La Vanguardia, 54,8% de la population catalane serait
actuellement en faveur de l’indépendance de la région, alors que ce taux a
toujours avoisiné les 15% au cours des trente dernières années.La région de la Catalogne,
autrefois l’une des plus prospères de l’Espagne, est aujourd’hui la plus
endettée. Le gouvernement catalan croit que les problèmes financiers
proviennent en grande partie du système de répartition fiscale entre les
régions. Madrid refuserait de renégocier un pacte fiscal, et ce malgré le fait
que la Catalogne s’endette de près de 16 milliards d’euros par année selon
l’institut catalan de la Statistique.
Selon les estimations de la
police régionale, près d’un million et demi de manifestants ont affirmé dans
les rues de Barcelone leur désir de voir leur région devenir « un nouvel État
d’Europe » le 11 septembre dernier, date de la fête nationale catalane. Sur une
population de 7 millions et demi d’habitants, c’est près de 20% des Catalans
qui ont clamé ce désir d’indépendance.
L’autonomie
élargie vacille au détriment de la langue
La non-viabilité économique de la
Catalogne au sein de l’Espagne n’est pas le seul motif de cette lutte sociale.
En effet, cela vient s’ajouter à la perte de pouvoirs importants au niveau de
la langue et de la juridiction. En 2006, la Catalogne avait reçu
le statut d’autonomie élargie qui établissait, entre autres, la langue catalane
comme langue préférentielle dans les médias, l’éducation et l’administration,
et ce statut accordait une indépendance presque totale au pouvoirs judiciaires
de la région. Il y a deux ans, le tribunal constitutionnel d’Espagne
soustrayait ces dispositions. La décision fut suivie le lendemain d’une
contestation de plus d’un million de personnes dans les rues de Barcelone.
Jean-Rémi Carbonneau, doctorant
en sciences politiques à l’Université du Québec à Montréal, explique que la
situation en Catalogne pourrait être comparable à celle d’un Québec en 1995 au
sein duquel, à la suite d’une victoire du OUI au référendum sur l’indépendance,
la Cour suprême aurait invalidé ce référendum. « L’autonomisme a été la marque
de commerce des Catalans depuis la transition démocratique après Franco. Mais
depuis le recours en inconstitutionnalité du statut d’autonomie, c’est un
paradigme qui tend à se modifier pour se diriger vers l’indépendantisme »,
ajoute-t-il.
Le retrait du statut préférentiel
de la langue catalane fut un coup dur pour la culture régionale : « au niveau
identitaire en Catalogne on se voit de plus en plus Catalan et Européen, mais
de moins en moins Espagnol. Pour plusieurs, l’Espagne est un pays qui est très
rigide et centraliste », soutient Jean-Rémi Carbonneau.
Le politicologue établit un
parallèle avec la situation de la langue française au Québec. « Dans le
troisième article de la Constitution espagnole, on impose le castillan à tout
le monde et ont créé une asymétrie linguistique en faveur du castillan.
Autrement dit, tous les castillanophones sont chez eux en Espagne, mais ce
n’est pas le cas des catalanophones », ajoute-t-il. Pour lui, la situation
actuelle serait l’équivalent d’une « Constitution canadienne qui imposerait aux
citoyens canadiens le devoir d’apprendre l’anglais et le droit de s’en servir
partout ».
Une
lutte différente de celle du Québec ?
Selon un questionnaire de
l’Institut Gesop, 68% des citoyens catalans en faveur de l’indépendance le
seraient pour des raisons économiques, contre 29% qui attribueraient leur
nationalisme à une indifférence à l’Espagne. Pour Carbonneau, il serait
incorrect de justifier la réaction de la population uniquement par la crise
économique actuelle. « On voit souvent dans la presse européenne continentale
que le mouvement en catalogne est égoïste et qu’il s’agit principalement d’un
désir de ne pas partager les impôts », avance-t-il. « C’est faux : ils ont
tellement fait de paiements de transfert, c’est comme si l’Alberta était
aujourd’hui appauvrie en raison de la péréquation ». Ainsi, l’effort fiscal des
Catalans n’a pas été récompensé par des concessions politiques, linguistiques
ou culturelles puisque le statut d’autonomie accordé en 2006 a été amoindri.
Vers
le scrutin du 25 novembre
À la différence du Québec, selon
la Constitution, les régions d’Espagne ne sont pas en droit d’organiser des
référendums. Le président catalan, Artur Mas, a toutefois exprimé sa volonté
d’en tenir un « avec ou sans l’accord de Madrid ». Le nouveau chef du parti
socialiste en Catalogne, Isidre Molas, a quant à lui proposé de faire un référendum
sur le fédéralisme et de faire de l’État espagnol un État fédéral comme au
Canada. Selon des prédictions du
quotidien barcelonais La Vanguardia, le Parlement catalan comporterait
70% de députés souverainistes après les élections législatives du 25 novembre
prochain.
Sceptique, Jean-Rémi Carbonneau
pense plutôt qu’« une plus grande marge de la population pourrait être en
faveur de la fédéralisation de l’Espagne plutôt qu’en faveur de l’indépendance.
Par contre, vu la rigidité du gouvernement, il serait étonnant que Madrid
accepte. Beaucoup d’observateurs ne croient plus à cette option », conclut-il.
Le Journal des Alternatives
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